Orlando est un jeune noble anglais ;
lorsqu'il rencontre la reine Élisabeth, elle décide de l'emmener à sa
cour de Greenwich et, jusqu'à la mort de la reine, la vie d'Orlando est
celle de son courtisan favori ; par la suite il reste à la cour de son
successeur Jacques Ier. Pendant le Grand Gel de 1608, Orlando tombe
amoureux de Sasha, fille de l'ambassadeur de Russie, qui l'abandonnera.
Revenu dans sa demeure natale, Orlando fait l'étrange expérience de
s'endormir pendant une semaine, à la suite de quoi il décide de partir
comme ambassadeur en Orient. Là, il refait la même expérience d'un
sommeil d'une semaine mais cette fois il se réveille femme.
Sally
Potter signe une belle et flamboyante adaptation du classique de
Virginia Woolf dont elle respecte en tout point l'esprit. Orlando
est une des œuvres les plus accessibles de Virginia Woolf où cette
dernière mêlait son style sophistiqué et introspectif à une vraie
odyssée picaresque, romanesque et ironique dans laquelle l'auteur
faisait avec son héros androgyne le portrait idéalisé de la poétesse
Vita Sackville-West avec laquelle elle entretint une liaison passionnée.
Sally Potter reprend cette idée à travers une vision toute personnelle
et originale rendant le film tout aussi inclassable que le roman.
La
question androgyne et de la confusion des sexes est présente d'emblée
en donnant à Orlando les traits à la fois durs et paisible de Tilda
Swinton qui sait si bien allier allure masculine et sensibilité féminine
durant la première partie. Virginia Wolf n'amenait la question que
progressivement notamment en faisant tomber Orlando sous le charme de la
belle russe Sasha (ici jouée par Charlotte Valandrey) sans qu'au départ
il puisse distinguer si elle était un homme ou une femme.
Sally Potter
amène cette dimension immédiatement avec cette ouverture en 1600 où
l'insouciance juvénile séduit la vieillissante reine Elisabeth qui rêve
de ne jamais voir l'attrait de cet ange souillé par les outrages du
temps. Féru de poésie et rêvant d'amour passionnées, Orlando traversera
ainsi les siècles en demeurant un(e) adolescent(e) refusant de grandir
et dont chaque confrontation avec la cruauté du monde des adultes sera
source de transformations morale puis physiques.
Chaque aventure et
expérience sera source de déception et de saut dans le temps que Sally
Potter manie avec un sens de l'ellipse tout aussi brillant que dans le
livre même si nous perdant moins ouvertement que ne le faisait Virginia
Woolf où la description nous faisait progressivement comprendre que l'on
avait basculé dans une autre époque.
La réalisatrice dessine
des tableaux somptueux pour chacune des "épreuves" traversées exploitant
au mieux un budget que l'on devine restreint et qui force à une
narration elliptique et théâtrale bienvenue. On est ainsi charmé par le
marivaudage entre Orlando et Sasha, où la fourberie de cette dernière
contredit la pureté de l'environnement blanc et immaculé dans ce Londres
du Grand Gel de 1608.
Sally Potter soumet ainsi totalement
l'environnement aux états d'âmes d'Orlando (alors que c'était clairement
l'inverse dans le livre où les mutations culturelles/climatiques
influaient sur sa personnalité) avec ici la glace se brisant
simultanément au dépit d'Orlando trahi par Sasha n'étant pas venu aux
rendez-vous pour leur fuite commune.
Si Sally Potter respecte
parfaitement l'humour mordant de Virginia Woolf lors de la déconvenue
des aspirations littéraires raillées d’Orlando, elle s'appropriera avec
brio le matériau originel lorsque notre héros tentera une carrière
d'ambassadeur en Orient. L'épisode était assez confus à l'écrit et là la
réalisatrice dans une imagerie luxuriante et dépaysante nous guide vers
une attachante vision de lien entre les peuples où Orlando nouera une
amitié (teinté d'ambiguïté comme toujours avec le Khan (Lothaire
Bluteau).
Pourtant, Orlando faillira à nouveau quand ce lien en
appellera aux armes et une violence du monde des hommes à laquelle il ne
peut souscrire pour subir là sa plus grande métamorphose et devenir une
femme. La scène de réveil sous ce nouveau sexe est une merveille de
sensualité et d'onirisme, laissant progressivement deviner le changement
sous une lumière immaculée avant qu'Orlando n'observe son corps nu dans
un miroir et lâche cette phrase symbole : Same person. No difference at all... just a different sex.
Dans l'ensemble les commentaires distanciés de Virginia Woolf qui
auraient grandement alourdit le récit transposé tel quel sont ici
brillamment revisité par les commentaires face caméra de Tilda Swinton,
ironique ou dépités selon les moments.
En effet même en femme
Orlando demeure cet être rêvant d'accomplissement spirituel et amoureux
mais sera confronté aux mêmes écueils, aux mêmes entraves symbolisées
par les corsets et robes lourdes qui entravent sa marche et son libre
arbitre.. La satire et le féminisme cinglant s'entremêlent ainsi dans
une description des milieux intellectuels du XIXe dont l'esprit creux
n’a d'égal que le machisme.
Si Sally Potter réussit par le visuel à
différencier les périodes, on le ressent moins dans l'esprit alors que
le roman montrait bien la bascule d'un siècle à l'autre où une femme
bravache et aventureuse se trouvait soudainement engoncée dans les
rigueurs d’une société phallocrate cent ans plus tard.
Parfois elle
réussit à fusionner les deux dans de superbes idées comme ce paysages
dont la météo devient orageuse et la photo plus terne en un instant pour
montrer l'impasse où se trouve Orlando courtisée par un prétendant
libidineux (et dans le livre ce changement météorologique signifiant le
passage de l'Angleterre ouverte du XVIIIe à celle froide, humide et
étouffante du XIXe et de l’ère moderne) qu'elle fuit dans un labyrinthe
sans issue.
Cet esprit adolescent et rêveur se maintenant dans la nature
désormais féminine d'Orlando, le salut viendra d'un prince charmant
idéalisé et surgit à cheval de la brume en les traits de Billy Zane.
La
confusion des genres est toujours au centre des interrogations avec ce
remarquable dialogues où la caméra va de l'un à l'autre et où chacun
comprend les chaînes entravant le sexe de l'autre (fonder une famille et
avoir des enfants, se faire une place dans le monde par l'aventure et
les armes) réinventant ainsi par l'image un des échanges les plus
captivant du livre. La scène d'amour est un enchantement, filmé avec une
grâce charnelle rare par Sally Potter et où Tilda Swinton se déleste de
toute dureté pour être une femme complète s'abandonnant totalement à
l'homme qu'elle aime.
L'épilogue contemporain réinvente plutôt
bien celui du roman avec une héroïne toujours immortelle mais désormais
apaisée et qui ne traversera plus les siècles seule.
Sorti en dvd zone 1 chez Sony et doté de sous-titres anglais
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