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lundi 28 décembre 2020

Night Is Short, Walk On Girl - Yoru wa Mijikashi Aruke yo Otome, Masaaki Yuasa (2017)


 L'histoire tourne autour de deux étudiants, "la fille aux cheveux noir" et le "Senpai" qui cherche à lui déclarer sa flamme, sans cesse détourné et contrecarré par différents protagonistes et autres péripéties burlesques à travers la nuit dans les rues de Kyoto.

Night is Short, Walk On Girl voit le réalisateur Masaaki Yuasa revenir à l’univers de l’écrivain de SF japonais Tomihiko Morimi. Yuasa avait adapté une première fois l’auteur avec la série The Tatami Galaxy (2010), délirant récit de mondes parallèles où un étudiant explorait les différentes variations de son cadre universitaire. La série fit sensation et il fut un temps envisagé de la poursuivre dans un film pour le cinéma. Le projet n’aboutira pas mais quelques années plus tard, Yuasa aura la possibilité de réunir l’équipe technique de la série pour adapter Night is Short, Walk On Girl, autre fameux roman de Tomihiko Morimi. La plupart des récits de Morimi se déroule dans le cadre de l’université de Kyoto où il fit ses études. Yuasa va entretenir cette proximité en retrouvant bien sûr cet environnement, mais surtout en reprenant l’esthétique de The Tatami Galaxy dont on recroisera quelques personnages – mais le film peut tout à fait se voir sans connaître la série au préalable. 

Dans The Tatami Galaxy, l’université et par extension cette cité de Kyoto est un lieu chargé de perspectives et d’expériences potentielles pour la jeunesse, où paradoxalement la crainte de passer à côté peut faire naître une certaine angoisse. Ce sera tout l’enjeu des héros de Night is Short, Walk On Girl. Le temps d’une folle nuit, une étudiante frustrée décide d’embrasser la vie d’adulte dans un parcours où elle ne se refusera aucune extravagance. Un camarade fou amoureux d’elle sans jamais avoir osé se déclarer décide de la suivre à son insu mais une suite d’évènements et de rencontres délirantes vont le détourner de sa quête. « La fille aux cheveux noir » (les héros ne seront jamais nommé) n’ayant pas appris à se sociabiliser et interagir aux autres, ne regarde jamais en arrière, relève tous les défis et vit chaque étapes comme la dernière. 

Cela passe des beuveries épiques, un courage et une morgue décomplexée quel que soit son interlocuteur. Un loser aux mains baladeuses en sera pour ses frais, tout comme un adversaire nanti lors d’un challenge alcoolisé. Cette insouciance rend notre héroïne invulnérable et insouciante, mais finalement aussi sans attache bien qu’elle ne s’en rende pas compte. C’est précisément ce lien, amoureux, que recherche le garçon en la poursuivant et ce grand timide préfère affronter les obstacles absurdes se posant sur sa route plutôt qu’aborder frontalement sa dulcinée.

Chaque personnages ou péripéties constituent en sous-texte une métaphore de cette quête de sensation, ou à l’inverse des regrets de la disparition des moments d’ivresse d’antan. Le « général caleçon » représente par l’absurde la quête amoureuse extrême, lui qui a décidé de ne pas changer de caleçon tant qu’il n’aura pas retrouvé la fille pour laquelle il a eu un coup de foudre. Un vieillard aigri et solitaire ne vit plus que par l’exploitation des autres en tant qu’usurier. Un homme sur le départ pour l’Angleterre se morfond encore d’un chagrin d’amour, un autre regrette de ne plus voir sa fille. Les aspirations, les regrets et la résignation de l’âge adulte s’entrechoquent dans un tout auquel Yuasa confère une esthétique surréaliste. 

Cela repose la sur le monde intérieur des protagonistes, mais aussi des spécificités de ce cadre universitaire et culturelle de la ville de Kyoto. Le chara-design des personnages ainsi que les compositions de plan entrecroisent esthétique pop et estampe, la ligne claire et horizontale évoquant les emakinos (rouleau portatif illustré) mais dynamité par le foisonnement de l’animation flash. Cela rejoint finalement le berceau culturel historique que constitue cette ville de Kyoto depuis l’ère Heian, et que Yuasa traduit de manière à la fois poétique et survoltée. 

Cela va de l’obsession d’un personnage pour les estampes érotiques à un souvenir régressif d’enfance lié à un livre pour l’héroïne, et pour lequel le garçon subira mille maux afin de lui offrir un exemplaire. Ce côté ancestral se manifestera par l’apparition du yokai « dieu du marché aux vieux livres » venu punir la vile spéculation de ce patrimoine littéraire. La tradition théâtrale est aussi le prétexte à des happenings de rue où se conjuguent l’art, la dénonciation d’un conformisme hypocrite (le censeur ayant sa petite lubie provocante) et surtout une manière détournée de déclarer sa flamme. Une scène folle, en plus d’être férocement drôle et grandiloquente, fait de cette improvisation théâtrale à la fois l’espace où l’on doit dépasser cet idéalisme romantique juvénile mais finalement celui aussi où il peut se réaliser. 

La folie ambiante qu’impose Yuasa ne lui fait jamais perdre de vue l’enjeu sentimental et existentiel du récit. Le réalisateur excelle dans les idées poétiques simples et épurées (ce rhume et ce typhon représentant et centralisant la dépression, la solitude) qui offre des respirations mélancoliques bienvenues avant les sorties de route psychédéliques. La conclusion enfiévrée où le subconscient du garçon se déchaîne alors que la fille va lui rendre visite est chef d’œuvre de chaos maitrisé pour traduire la timidité, et le saut dans le vide de la déclaration (avec son contrepoint sobre dans le réel comme quoi ce n’était pas grand-chose). Masaaki Yuasa conserve son style touffu et expérimental (Mind Game (2004) qui l’a fait connaître) mais dans une approche plus accessible (ce que confirmera le bondissant Lou et l’île aux sirènes (2017) qui suivra) grâce à cette veine romanesque. L’amateur de The Tatami Galaxy sera comblé et les non connaisseurs de la série auront forcément envie d’y jeter un œil après pareil spectacle. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Alltheanime

 
 

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