Janvier 1969, un boeing 737 atterrit dans une petite ville perdue du bush australien. A bord de l'avion, le célèbre trompettiste de jazz Billy Cross voyage avec son orchestre. Les habitants se précipitent, dont John "Dingo", douze ans. Les musiciens s'installent sur la piste et soudain la musique éclate : Billy Cross joue pour le village. Toute sa vie, John n'aura qu'une envie, jouer avec son idole...
Dingo est un film qui peut parfois être uniquement considéré comme celui de la quasi (à un épisode de la série Miami Vice près) seule expérience d’acteur de la légende du jazz Miles Davis. Si sa présence et son charisme marquent le film de son empreinte durant son temps à l’écran, la valeur du film est bien plus grande, d’autant que Miles Davis n’était pas le choix initial. Dingo est un projet en grande partie porté par son scénariste Marc Rosenberg, marqué par le souvenir d’un tournage où un technicien affirmait que son plus grand rêve aurait été d’être musicien dans un groupe et donner des concerts autour du monde. Cela lui inspirera un script qui lui prendra de longues années à finaliser (il envisage d’abord la batterie comme instrument au centre de l’intrigue) et financer, le tout se débloquant lorsque son ami Rolf de Heer endosse la casquette de réalisateur – alors qu’il le souhaitait initialement comme producteur. Sammy Davis jr est le premier choix pour le personnage de Billy Cross, mais déjà très malade il doit renoncer, ce qui reportera l’attention sur Miles Davis. Même si Sammy Davis Jr avait un talent et une expérience d’acteur plus accomplie, il est indéniable que le magnétisme taiseux de Miles Davis apporte une dimension supplémentaire au film.
Dingo est un étonnant mélange de réalisme et de féérie, une sorte d’appel à l’aventure dans un contexte rêvé et normal. La scène d’ouverture faisant naître la passion du jeune John (Colin Friels) pour la trompette nous transporte d’emblée dans ce paradoxe. Il y a d’abord la force de visions inédites entérinant ce sacerdoce musical avec John adulte jouant de son instrument face au panorama de l’outback australien, puis laissant les souvenirs affluer au rythme flottant de ses notes. Durant son enfance, il fut arraché à sa normalité par l’apparition surréaliste de la star du jazz Billy Cross dans son village, contraint d’effectuer un atterrissage forcé. L’arrivée improbable d’un Boeing dans ce cadre désertique, l’excentricité de Cross et ses musiciens face aux autochtones, et la fascination exercée sur le garçonnet sont capturés avec une emphase magique. Et lorsque Billy Cross et son orchestre décident d’improviser un concert pour les locaux, Rolf de Heer suspend littéralement le temps et l’espace pour nous faire ressentir l’impact du moment sur John, et l’invitation de Billy Cross de le rejoindre à Paris à l’occasion.Le moment imprègne suffisamment John pour que marié et père de famille, il caresse encore le rêve de retrouver son idole. En attendant, il a appris à jouer de la trompette mais son public oscille entre la faune du bush australien lors de ses improvisations, et la salle dansante locale. L’espérance envisagée dans ce rêve le fait végéter dans un entre-deux fait de jobs laborieux, de quotidien difficile, et d’un refus de s’engager dans un métier plus lucratif mais dont la nature concrète l’éloignerait définitivement de son aspiration artistique. Cette impasse n’est cependant pas symbolisée par le cadre de l’outback australien, qu’on a l’habitude au cinéma de voir représenté sous des jours mystérieux, menaçant, inquiétants et arides dans des classiques comme Walkabout de Nicolas Roeg (1971), Wake in Fright de Ted Kotchef (1971), Pique-nique à Hanging Rock de Peter Weir (1975) ou encore Road Games de Richard Franklin (1981).Rolf de Heer veut justement se détacher de cette imagerie et le choix du directeur photo français Denis Lenoir y contribue, puisque ce dernier dénué de ce passif local est au contraire envouté par les lieux. Dès lors un onirisme hypnotique se dégage des instants où John s’isole, laisse divaguer son esprit et son inspiration lorsqu’il fait sonner son instrument sous ces ciels irréels, cet horizon sans fin tutoyant parfois le réalisme magique. Il y a un formidable travail de montage visuel et sonore pour traduire ce sentiment de vase communicant, les échos formels se conjuguant aux échos sonores quand John et Billy Cross dans des lieux et niveau de réalité différents se suivent et s’accompagnent par leurs envolées de trompettes.La menace de « rentrer dans le rang » s’incarne plutôt à travers l’ami d’enfance Peter (Joe Petruzzi) qui est la manifestation de toute la réussite matérielle qui importe aux yeux des autres, et peut-être à ceux de son épouse Jane (Helen Buday) qui l’observe depuis si longtemps caresser un rêve impossible. Alors qu’il vit dans l’attente depuis des années, c’est quand la menace de tout perdre se fait la plus grande que John décide enfin d’aller tenter secrètement sa chance. La première partie du film avait habilement joué du contraste entre l’urbanité parisienne et l’outback australien, presque comme deux planètes différentes. Cependant en gagnant Paris, John a emmené sa candeur et la conviction de son rêve avec lui, et aucun obstacle ne saura le bloquer. Une des grandes qualités du script de Marc Rosenberg est de se délester de toute facilité dramaturgique forcée et hollywoodienne. Ce ne sont pas les (rares) difficultés de John à rencontrer Billy Cross qui importent, mais la leçon qu’il pourra tirer de leurs quelques instants ensembles. Ce n’est pas l’expérience des clubs de jazz parisien qui fera de John un musicien accompli et un artiste, puisque cette mue a déjà eu lieu lors de son apprentissage solidaire dans son environnement local et a construit sa singularité. On le ressentait implicitement dans les premières scènes où en traquant le « Dingo » (sorte de coyote spécifiques au bush australien) il se cherchait aussi lui-même, on l’entend lors de la superbe scène de concert improvisé dans laquelle la trompette de John réinterprète les aboiements des dingos (parti-pris explicite de la bande-originale de Michel Legrand et Miles Davis), et Cross l’explicite à notre héros en lui disant que ce qu’il recherche est sans doute déjà chez lui. Un atout assez paradoxal est que Rolf de Heer n’était pas spécialement friand de jazz, ce qui évite au film d’être réservé aux initiés de ce genre musical. Au contraire, l’approche émotionnelle et sensorielle confère à l’ensemble une universalité qui permet à l’implication du spectateur (grâce à la prestation habitée et attachante de Colin Friels) d’évoluer vers un attrait et une appréciation de la musique, un beau tour de force.Sorti en bluray français chez Intersections
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