L’ouvrage d’Aubry Salmon se penche sur un personnage clivant
du cinéma contemporain, longtemps conspué ou sous-estimé tout en ayant son
cercle d’admirateurs fidèles. Pour beaucoup Tony Scott n’est que le frère moins
doué du grand Ridley Scott et surtout l’importateur d'une certaine esthétique
clippesque et publicitaire au cinéma par l’entremise du cultissime Top Gun (1986). La réalité est bien sûr
plus complexe et malgré une carrière objectivement en dent de scie, Tony Scott
est une figure singulière dont la filmographie s’avère nettement plus
intéressante sur les dernières années que celle de Ridley devenu un
fonctionnaire doué des studios plutôt qu’un artiste.
L’aspect passionnant du livre repose sur le parallèle et les
coulisses constantes du milieu hollywoodien avec la carrière de Tony Scott. Un
malentendu biaisera ainsi longtemps la trajectoire de Tony Scott aux penchants
au départ plus arty et auteurisant.
Aubry Salmon s’attarde longuement sur la personnalité insatisfaite de Scott n’ayant
jamais eu complètement les conditions pour s’accomplir. Scott est au départ sous
influence de Nicolas Roeg ou de Roman Polanski qu’il admire et se fait remarquer
pour les deux court-métrages Loving
Memory (1969) et One of the missing
(1971). Le premier a droit à une sortie salle et le second à une
réception plus mitigée mais les deux œuvres portent déjà en germe les thèmes et
la veine expérimentale de Scott. Il est cependant détourné de son
ambition par le manque d’opportunité de signer un premier long et va suivre son
frère Ridley (mentor et ombre pesante auquel il doit sa passion du cinéma après
avoir joué enfant dans un de ses court-métrage) dans sa compagnie pour signer
durant 10 ans des films publicitaires. C’est la reconnaissance de Ridley avec
une série de classiques instantanés (Les Duellistes (1977), Alien (1979), Blade Runner (1982)) qui permet à Tony de
faire ses premiers pas au cinéma avec Les Prédateurs (1982). Aubry Salmon dépeint bien la manière dont son expérience
publicitaire rend Scott habile à poser des atmosphères léchées, cette recherche
esthétique extrême étant aussi une manière au fil de cette première partie de
carrière de masquer la nature bancale des scripts (Jours de Tonnerre (1990)), de combler par la maîtrise formelle son
manque de confiance dans d’autres domaines comme la direction d'acteur mais aussi une mise en applications
de certaines idées de ses pubs – vrai terrain d’expérimentation tout au long de
sa carrière. Toutes ces contradictions fascinent dans Les Prédateurs, son visuel papier glacé et son ambiance morbide d’où
se dégagent pourtant déjà ses thèmes majeurs comme le conflit entre les
générations, le nouveau monde et l’ancien.
L’auteur s’éloigne de la condescendance de rigueur quand on
évoque Top Gun pour une analyse
passionnante. L’insuccès des Prédateurs éloigne Scott de projets plus
personnels et c’est pour son savoir-faire publicitaire que les producteurs
Jerry Bruckheimer et Don Simpson font appel à lui pour le clip d’action ode à l’US
Air Force que doit être Top Gun. Tout
en soulignant que visuellement le film cède au triomphalisme Reaganien des 80’s,
Aubry Salmon fait un judicieux rapprochement entre Top Gun et les coming of age
guerriers des années 40/50 (comme Le Cri de la victoire de Raoul Walsh (1955)). Il use ainsi d’une critique négative de
Serge Daney pour faire de Top Gun le symbole paradoxal d’une époque révolue (le
choc des blocs touchant à sa fin) avec un film de guerre sans guerre mais qui
met en valeur les atours de l’armée. Tony Scott met finalement beaucoup plus de
force émotionnelle dans le cheminement de Maverick (Tom Cruise), ses doutes,
amours et conflit générationnels (dans la lignée des rôles d’alors de Tom
Cruise en quête de figure paternelle).
Les contours tape à l’œil (préfigurant
Michael Bay) du film auront donc détournés de cette dimension intimiste et
maintenu la suspicion critique envers Tony Scott, tandis que le succès
commercial l’enchaînait aux productions Bruckheimer/Simpson avec l’impersonnel Flic de Beverly Hills 2 (1987) et Jour de
Tonnerre. Ce dernier volonté avouée de réitérer la formule Top Gun mais avec des voitures est l’occasion
de belles description de l’envers du décor hollywoodien avec son high concept
primant sur un scénario écrit au jour le jour, ses fêtes d’après tournages
dantesques. Cette frustration artistique de Scott court tout au long du livre,
bridé par les stars et les producteurs sur les grosses productions et
rencontrant l’insuccès sur les plus modestes qui auraient pu changer la
perception qu’on a de lui. Cependant l’auteur souligne son apport majeur dans
chaque projet, que ce soit le romantisme noir du fiévreux Revenge (1990) ou celui lumineux de True Romance (1993) auquel il donne les contours de conte moderne
et impose une fin positive qui le démarque du script plus cynique de Tarantino.
Ce dernier film témoigne (tout comme Le Dernier samaritain (1991)) de la proximité et l’amour sincère de Tony Scott pour
ses personnages.
Il est intéressant aussi d’observer comment les défis
techniques de certains projets (le huis-clos de USS Alabama (1995)) et les expérimentations de certains spots
publicitaire vont contribuer à la mue de Tony Scott. Les filtres, ralentis et longues
focales ne peuvent plus servir d’artifices et ornements dans le duel
psychologique (et à nouveau entre l’ancien et le nouveau monde) de USS Alabama, tout comme le monde
paranoïaque et la multiplicité des
écrans d’Ennemi d’état (1998). Avec l’excellent
Spy Game (2001), il s’agit des œuvres
qui amorcent la radicalité filmique qui amènera enfin la reconnaissance
attendue pour Tony Scott avec l’âpreté de Man
on Fire (2004) – projet au long cours abandonné la mort dans l’âme dans les
80’s – et le tourbillon de sensation agressif de Domino (2005).
Tony Scott semble avoir libéré deux décennies de
frustrations et compromissions avec ces deux films fous et finira sa carrière
dans une veine à l’échelle humaine où pointe à nouveau un romantisme, humanisme
et conscience sociale à fleur de peau (grâce à l’alter-ego Denzel Washington
notamment) dans le beau Déjà vu
(2008) et Unstoppable (2010), où le
sensationnel (la SF réduite au minimum du premier) prime moins que le
personnage. L’effet, aussi voyant, stylisé et extrême soit-il aura donc
définitivement fini par servir les personnages chez Tony Scott. La suite s’annonçait
passionnante (le remake qu’il envisageait des Guerriers de la nuit de Walter
Hill) mais Salmon Aubry nous aura toujours dépeint la personnalité de Scott
comme torturée et insaisissable, et ce jusque dans la façon très sobre dont il
évoque son suicide. Un ouvrage de passionné richement documenté sur une figure
bien plus digne d’intérêt que ce que les tenants du « bon gout » ont
vus en lui.
Edité chez RockyRama
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