Au moment de réaliser Jack Burton, John Carpenter sortait d’expériences contrastées alors qu’il venait, après une émergence dans le cinéma indépendant, de signer trois films de studio. The Thing (1982) fut un échec injuste qui déviera la carrière de Carpenter de son orbite et Christine (1983) recevrait également un accueil mitigé. Carpenter décide alors de se détourner de la pure étiquette de cinéaste de « genre » et montrer sa versatilité au studio en signant la belle romance surnaturelle Starman (1984), atypique dans sa filmographie. Malgré un bel accueil critique, le film ne sera pas non plus un succès et Carpenter, tout en continuant à sortir de l’ornière du cinéma d’horreur décide donc cette fois de se faire réellement plaisir avec son projet suivant, Big Trouble in little China. Il s’agit au départ d’un scénario de Gary Goldman et David Z. Weinstein dont le high concept croisait surnaturel, western et choc culturel avec le cowboy Jack Burton confrontés à des forces maléfique dans le Chinatown de San Francisco au XIXe siècle.
Carpenter voit dans ce postulat un prétexte idéal à mettre en image sa passion récente pour le film de sabre asiatique et aussi signer sa première vraie comédie depuis l’inaugural Dark Star (1974). Pour ne pas dévier de cette optique, le réalisateur fera d’ailleurs le choix de resituer l’intrigue dans un cadre contemporain à travers la réécriture que fera W.D. Richter. Ce dernier est une personnalité excentrique déjà remarquée avec Les Aventures de Buckaroo Banzaï à travers la 8e dimension (1984), première réalisation frappée dont il va recycler les idées d’une suite avortée (par l’échec cuisant au box-office) dans ce Jack Burton. Le film creuse ainsi un sillon assez unique entre Asie et Occident, d’autres tentatives plus (Yakuza de Sidney Pollack (1975) ou moins (La légende des Sept vampires d’or (1975) coproduction entre la Hammer et la Shaw Brothers) sérieuses ayant montré la voie avant la démocratisation des années 90 amenée par Matrix (1999).
Le genre imprégnant presque tous les films de Carpenter de
façon sous-jacente est le western et il aura toujours su le revisiter à l’aune
d’un contexte et/ou d’un personnage (la prison à ciel ouvert et le caractère
sociopathe de Snake Plissken dans New York 1997) redéfinissant son identité. Il en va de même ici où l’hommage se
fait toujours à l’aune de la personnalité loufoque de son héros. Le déluge de
combat et d’effets visuels/pyrotechniques moderne laisse deviner l’influence de Zu, les guerriers de la montagne magique
de Tsui Hark, le look des trois sbires de Lo Pan est repris de celui des
antagonistes du deuxième volet de la sa saga Baby Cart, L’Enfant Massacre
(1972). Enfin les extravagantes incursions du surnaturel et de la magie noire
chinoises doivent beaucoup à Le Bras armé
de Wang-Yu contre la guillotine volante (1976) bande d’exploitation très
populaire aux Etats-Unis tandis que les joutes survoltées entre sorciers
rappellent L’Exorciste chinois de
Sammo Hung (1980).
Certaines séquences de ces films sont reprises avec
déférence et efficacité par Carpenter mais sans que l’on puisse réellement
parler de plagiat. La modestie du réalisateur face à ces modèles se ressent à
travers le personnage de Jack Burton, seul incarnation du héros mâle occidental
du film. Carpenter lui donne les atours de ce héros mais dans un contexte dont
la culture, l’adversité et les mœurs le dépassent constamment. L’improvisation joyeuse
sur le plateau fini par en faire un attachant et incapable imbécile heureux,
Kurt Russell se rappelant au bon souvenir de ses débuts chez Disney où ce jeu
outré était de mise. Tout confère à en faire de Jack Burton une sorte de Snake
Plissken balourd mâtiné de John Wayne. La silhouette sèche de Snake, le marcel noir, le phrasé
taciturne et cinglant ainsi que le regard de défi laisse place à la logorrhée
fanfaronne de Jack, sa musculature encombrante et son regard bovin.
Dès lors plutôt que d’affirmer refaire et égaler les films
dont il s’inspire, Carpenter se place modestement du point de vue de son héros
occidental et idiot face un monde qu’il découvre. L’immersion est donc
progressive dans la bascule vers le fantastique. La confrontation dans
l’aéroport menant à l’enlèvement de la fiancée de Wang (Dennis Dunn) en reste à
une joute martiale basique. C’est l’amorce avec une plus grande ampleur du
combat de rue qui suit avant que l’apparition tonitruante des trois
« Tonnerre » fasse basculer le récit. Cet écart entre bouffonnerie et
déférence s’illustre également à travers le méchant David Lo Pan (Victor Wong),
présence spectrale glaçante cherchant à retrouver une incarnation charnelle et
dont tout le jeu oscille ainsi entre maléfique insaisissable et trivial dans un
esprit plutôt cliché Fu Manchu.
Le premier et le second degré jouent dans
l’univers sous-terrain de Lo Pan, tour à tour magnifiquement inquiétant (la
séquence sous-marine avec des cadavres enchaînés) puis terriblement kitsch
entre créatures grotesques et décors au mauvais gout typiquement 80’s
(l’escalator et les néons de l’antre de Lo Pan). Le rythme et la bonne humeur
de l’ensemble permettent de tenir un équilibre ténu où les gaffes du sidekick
occidental qu’est Jack Burton (le climax final où il est inconscient ou au
ralenti face à la frénésie de l’ensemble) n’entravent jamais la jubilation de
l’aventure. Le cocktail en faisait un carton en puissance dans la lignée de Ghostbuster (1984) mais une fois de plus
Carpenter se trouvera à contretemps.
Si la noirceur de The Thing avait souffert de la sortie simultanée avec le lumineux
ET (1982), l’esprit potache de Jack Burton souffrira de la comparaison avec la
furie guerrière d’Aliens (1986) de
James Cameron sorti quinze jours auparavant. L’échec sera dur à encaisser pour
le réalisateur qui retournera plein d’amertume à la production indépendante
pour deux de ses œuvres les plus sombres et vindicatives, Prince des ténèbres (1987) et Invasion Los Angeles (1988). Quant à Jack Burton, la vidéo et les rediffusions en
feront ce qu’il était dès sa sortie, un spectacle populaire et potache pour
tous.
Ressort en salle le 31 janvier
Ce qui est très fort ici, c'est que Carpenter réussit à distiller toutes ces références au cinéma asiatique sans jamais que ce soit complaisant. Quand j'ai découvert le film gamin, j'ignorais en effet tout de ce genre et ça ne m'avait pas empêché de l'apprécier. Et c'est au fur et à mesure des visionnages que s'est révélé le traitement savoureux de cette figure du héros teubé qu'est Jack Burton. Au vu de l'affiche, on pourra aussi supposer que le studio avait les aventures d'Indiana Jones dans le viseur.
RépondreSupprimerE.
superbe article !
RépondreSupprimerMerci :-)
SupprimerSalut Justin,
RépondreSupprimerSi tu emploies le mot "potache" c'est péjoratif ?? ...je verrais plutôt le coté fun avec une caméra qui enchaine les scènes d'action à grande vitesse, je n'aime pas spécialement le genre "films de fantômes chinois" mais les effets spéciaux qui renouvèlent l'action en permanence sont particulièrement réussis et saisissants, la relation du couple K.Russel et Kim Cattrall est délicieusement en mode "screwball" version aventures, et le génie de Carpenter est bien là, à nous transmettre le frisson amusé.
Je dis potache dans le sens qui ne se prends pas au sérieux. C'est la différence peut-être avec les Indiana Jones (du moins les deux premiers) où l'humour s'équilibre plus avec le vrai frisson et l'adrénaline quand Carpenter laissse la place au seul fun. Après j'ai beau trouver le Carpenter très divertissant il n'y a pas photo avec certains de ses modèles mais c'est une porte d'entrée sympa.
SupprimerPerso, Indiana Jones j'ai aimé moyen, mais comme on dit chacun ses goûts, je crois que c'est surtout parce que Spielberg n'a pas d'humour(c'est un vieux garçon avec un cerveau d'ado)et que Carpenter en a ...de l'humour section adulte, plus noir et vibratoire aussi, j'y suis plus sensible c'est certain.
RépondreSupprimerC.