Pour avoir voulu
sauver un chien, Adam et Barbara Maitland passent tout de go dans l'autre
monde. Peu après, occupants invisibles de leur antique demeure ils la voient
envahie par une riche et bruyante famille new-yorkaise. Rien à redire jusqu'au
jour où cette honorable famille entreprend de donner un cachet plus urbain à la
vieille demeure. Adam et Barbara, scandalisés, décident de déloger les intrus.
Mais leurs classiques fantômes et autres sortilèges ne font aucun effet. C'est
alors qu'ils font appel à un "bio-exorciste" freelance connu sous le
sobriquet de Beetlejuice.
Le succès inattendu de Pee-Wee
Big Adventure (1985) avait soulevé l’intérêt pour Tim Burton, la Warner l’envisageant
alors pour sa grande adaptation à venir de Batman.
Le studio tergiverse néanmoins à confier un si gros projet à un novice. Tout en
préparant le projet sans assurance d’être le choix définitif, Tim Burton scrute
donc sans enthousiasme les scénarios conventionnels qu’on lui propose avant de
tomber sur cette bizarrerie intitulée Beetlejuice.
Le scénario initial est un vrai film d’horreur déviant (Beetlejuice incontrôlable et plus proche du violeur que du pervers
rigolo du film, la scène de possession graphiquement plus agressive) que Burton
va s’approprier dans sa thématique d’opposition du bizarre imprévisible et
attachant avec une normalité conventionnelle et étouffante. Si Batman, le défi (1992) sera un film tout
entier dévoué et fasciné par les monstres et où l’humain est absent, Beetlejuice préfigure plutôt le
traitement de Edward aux mains d’argent
(1990). Tim Burton impose ainsi pour la première fois son univers visuel mais
en prenant soin d’avoir des personnages attachants et tiraillés dans cet
entre-deux opposant un univers excentrique ténébreux et une réalité plus
aseptisée mais bien plus inquiétante au final.
Le couple formé par Adam (Alec Baldwin) et Barbara (Geena
Davis) constitue donc des héros arrachés à une vie paisible pour être plongé
dans le monde des morts dont ils devront apprendre les codes. A l’inverse la
jeune Lydia (Winona Ryder) est bien vivante mais irrésistiblement attirée par
ces ténèbres plus excitantes que son quotidien morne. Tim Burton donne donc
dans la comédie et la satire pour opposer monde des morts et des vivants en s’amusant
des codes du genre. L’idée d’un au-delà lourdement administratif exploitée dans
Une question de vie et de mort de
Powell et Pressburger (1947) et Le Ciel peut attendre d’Ernst Lubitsch (1943) est ici revisitée par le prisme de l’imaginaire
macabre et sarcastique de Burton. On conserve donc là pour toujours le possible
piteux état dans lequel on a pu décéder (mais aussi la personnalité avec les
quaterbacks de football stupides) ce qui donne une salle d’attente
cauchemardesque où nos héros viendront clamer leurs droits.
L’au-delà coinçant
pour l’éternité (ou plutôt 125 ans) Adam et Barbara dans leur demeure symbolise
la prison éloignant du monde extérieur tous les grands personnages de Tim
Burton, du manoir de Bruce Wayne dans les Batman
au château d’Edward aux mains d’argent
en passant par Charlie et la chocolaterie
(2006). A l’inverse la solitude et l’apitoiement dans lequel se complaisent
aussi les héros de Burton s’incarnent à travers Lydia, ado gothique au teint
blafard et brassant des idées noires dans l’exiguïté de sa chambre. Ces
personnages symbolisent à la fois le rejet et la volonté de se mêler aux autres
de Burton, en particulier Winona Ryder qui est une vraie réminiscence de Vincent (1982) le premier court-métrage
du réalisateur.
Beetlejuice (Michael Keaton) est lui le mauvais génie, graine
de discorde et véritable entité punk signifiant le nihilisme tentant Burton
pour balayer impitoyablement le conformisme hypocrite de la réalité. Cela passe
d’abord par l’image où le réalisateur déborde d’inventivité pour toutes les
créations associées au monde des morts que ce soit dans les décors extravagants
de Bo Welch et la multiplicité des techniques d’effets spéciaux (animation
image par image, prothèse, matte-painting, effets mécaniques) des différentes
créatures, le tout dans un aspect bricolé rattaché au style de dessin singulier
et rudimentaire de Burton mais aussi en hommage au série B de son enfance comme
les productions Harry Harryhausen. En contrepoint finalement plus horrible nous
aurons le décorum d’art contemporain hideux de Delia la belle-mère de Lydia (Catherine
O'Hara) défigurant par ses contours informes et ses couleurs criardes le havre
de paix de la maison.
Burton dénonce ainsi une modernité pédante, hypocrite et
irrespectueuse (le décorateur d’intérieur snob Otho (Glenn Shadix) mais surtout
d’un opportunisme glaçant. Adam et Barbara échouent à faire fuir les intrus car
leur tempérament gentil ne permet pas la malveillance suffisante à créer des
situations terrifiantes (l’hilarante scène de possession sur fond de Banana Boat Song de Harry Belafonte).
Mais plus que cela, c’est le cynisme de ce monde moderne qui empêche tout d’abord
de voir les fantômes (alors que l’adolescente Lydia encore candide les
distingue) puis une fois leur présence avérée d’en avoir peur. Au contraire les
adultes y voient une fructueuse affaire financière à exploiter avec les
fantômes en attraction de choix.
Tim Burton ne cède cependant pas encore à la mélancolie des œuvres
à venir et voit encore un espoir de cohabitation. Le drame de l’absence d’enfant
est sobrement introduit au début pour Adam et Barbara, tandis que l’indifférence
de ces parents est plus explicitement ressentie pour Lydia. Une famille de
substitution peut donc se construire entre les vivants et les morts, Lydia en
raison de supporter leur disparition pour le couple et eux en raison d’oublier
ses penchants suicidaires pour Lydia. Avant cela, les deux mondes doivent sauvagement
s’entrechoquer par l’entremise de la graine de discorde qu’est Beetlejuice.
Michael Keaton signe une prestation extraordinaire de bouffonnerie et d’outrance,
véritable pile électrique bousculant les codes de la bienséance (en ces temps
plus puritain le personnage serait bien édulcoré, on peut craindre pour la
suite annoncée) et relayé par des effets spéciaux délirants.
Le leitmotiv
consistant à prononcer son nom trois fois pour l’appeler fera école (Candyman (1992) de Bernard Rose dans un
film d’horreur plus direct) et est habilement monté en épingle jusqu’au délire
final où Burton donne dans l’horreur pour rire, le grand guignol et cabaret
macabre. Le personnage emportera tellement l’adhésion lors des projection-test
que Burton ajoutera ensuite le génial épilogue pour une ultime facétie de Beetlejuice. Le film sera un immense
succès et la première adhésion du public à l’univers de Tim Burton. La Warner
rassurée allait donc confier Batman (1989) à ce dernier pour un raz-de-marée
commercial d’une toute autre ampleur.
Sorti en dvd zone 2 français chez Warner
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