Emmet Ray est, comme
il le prétend, "le plus grand guitariste de jazz au monde... apres Django
Reinhardt". Maquereau à ses heures perdues pour arrondir ses fins de mois,
misogyne et égocentrique, Emmet est malgré tout un génie. Il vit pour sa musique
et détruit tout ce qui peut l'éloigner de son art. Emmet Ray ne vécut son heure
de gloire que durant une courte période et ne resta connu que par les
aficionados du genre. Woody Allen rend, à travers ce film, hommage à la musique
qu'il aime tant, celle du jazz.
Accords et désaccords est une œuvre chère à Woody Allen où
il peut exprimer son amour du jazz. Preuve de cet attachement, le projet mis
trois décennies à se faire puisqu’il devait initialement être le premier film
du partenariat d’Allen avec la United Artist. Encore trop rattaché à une pure
image comique, Allen préférera mettre en sommeil le film puisque le studio
réclamait une pure comédie, loin du film mélancolique qu’il avait en tête. Doté
d’un tout autre statut à la fin des années 90 le réalisateur peut enfin
raconter cette histoire comme il l’entend.
Nous ne sommes pas en terrain inconnu au niveau de la
structure avec ce faux biopic entrecoupé de commentaires d’experts sur la vie
du musicien fictif Emmet Ray (Sean Penn). C’est un schéma repris entre autres des excellents Annie Hall (1977), Zelig (1983) ou encore Broadway Danny Rose (1984). On suit donc le parcours du guitariste Emmet Ray dont le
génie n’est réellement visible que quand il daigne monter sur scène. En
attendant et notamment lors de la scène d’ouverture il faut deviser avec l’homme
peu recommandable, gentiment narcissique, dépensier, coureur, kleptomane et
proxénète à ses heures perdues. Ce qui l’empêche d’être détestable est l’interprétation
de Sean Penn qui fait des excès de cet homme une manière de dissimuler ses
émotions. Le fil rouge de cet idée est la manière dont après chaque
autocongratulation sur son génie musical, Emmet précise qu’il est le meilleur
guitariste du monde « après » Django Reinhardt, idole absolue face
auquel il fait un complexe (leurs rencontres imaginaires s’étant soldées par un
évanouissement d’Emmet impressionné).
Le génie musical ne peut totalement s’épanouir à cause de
cette dichotomie entre la forfanterie forcée du héros et une vulnérabilité dont
il n’arrive pas à imprégner sa musique.
L’homme cassé et le musicien brillant ne forme jamais un tout à l’image
de cette tentative d’entrée sur scène flamboyante sur une demi-lune qui tourne
court car Emmet sera comme effrayé par cet esquisse de grandeur. Du coup il ne
profite que des à-côtés tapageurs de sa notoriété avec ses diverses conquêtes
féminines, les fringues de luxe et les voitures derniers cris. Du coup il se
doit de ramener chaque rencontre amoureuse à son « moi » le plus
minable et pathétique, parfois pour un résultat aussi touchant qu’incongru (sa
marotte de tirer au révolver sur des rats ou encore de regarder défiler les
trains) et d’autres pour une goujaterie minable.
Sa part d’humanité peut s’exprimer dans la romance avec la
muette Hattie (magnifique Samantha Morton) où face au regard aimant et les
silences de celle-ci, le baratin habituel des amantes d’un soir n’a plus court.
Les forfanteries se font plus maladroites et touchantes, exprimant
paradoxalement l’amour qu’il n’ose déclarer explicitement à Hattie mais qu’elle
sait bien déceler (la jolie scène où elle lui offre un cadeau). C’est donc tout
naturel que la séparation ne soit pas filmée et résulte d’une fuite lâche d’Emmet
qui n’aurait pu s’y résoudre en face à face. A l’inverse la tempétueuse Blanche
(Uma Thurman) exacerbe toute la personnalité excentrique d’Emmet, moins
intéressée par l’homme que par son aura tapageuse qui sera un objet de
séduction et d’étude (avant de trouver un spécimen plus imprévisible et
dangereux que lui).
Dès lors l’aisance scénique d’Emmet est désincarnée et
étudiée dans ses environnements de prédilections que sont les clubs de jazz, et
étale réellement son brio quand il n’est pas attendu et peut être lui-même dans
la scène où il s’incruste dans un concours provincial amateur. Ce panache
superficiel se conjugue donc à sa personnalité et son refus d’enregistrer sa
musique puisque sorti de sa virtuosité il n’a (ou surtout n’ose pas) d’émotion
à offrir. Il faudra une magnifique conclusion où par une déclaration masquée en
vantardise dont il a le secret, il revienne puis soit rejeté par celle qu’il n’aurait
jamais dû abandonner. Dès lors le retour final au clinquant n’a plus lieu d’être,
ses émotions à vif ne se marient plus à la superficialité de sa renommée. Les
commentaires nous affirment qu’il a enregistré sa meilleure musique dans la
foulée de cette déconvenue, mais c’est l’homme brisé plutôt que le génie que l’on
observe dans les derniers instants. Le virtuose est devenu artiste, enfin.
Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 Vidéo
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