Fin du XIXe siècle, en
Angleterre, Henry Hobson est le patron et propriétaire d'une boutique de
chaussures, et y travaille avec ses trois filles. Usé par les années et meurtri
par la perte de sa femme, il fréquente de plus en plus assidument le pub au
détriment de son échoppe. Après s'être vu refuser la dot qu'elle lui demandait,
l’aînée de ses filles se révolte contre son père et entame une relation avec
l’un des employés de ce dernier. Elle projette alors d'ouvrir un commerce
concurrent.
Sous ses airs de comédie rétro guillerette, Hobson’s Choice condense nombre de
thématiques majeures de David Lean. Les figures féminines contraintes
traversent ainsi la filmographie du réalisateur, subissant ou défiant les
entraves sociales et politiques de mondes figés avec la Clélia Johnson de Brève Rencontre (1945), Ann Todd dans Madeleine (1950), Katharine Hepburn et Vacances à Venise (1955), Julie Christie
pour Docteur Jivago (1965) ou encore
Sarah Miles dans La Fille de Ryan
(1970). On retrouve cela dans La Route
des Indes (1984) où s’ajoute un contexte de clivage de classe et racial.
Avant l’emphase des superproductions à venir, ces questionnements s’expriment
pour la dernière fois dans un cadre spécifiquement anglais avec Hobson’s Choice. L’Angleterre Victorienne d’Hobson’s Choice montre ses inégalités sociales et son machisme à
travers le personnage outrancier et bouffon d’Henry Hobson (Charles Laughton),
boutiquier prospère. Les deux premières scènes montrent ainsi dans une veine
rieuse une tyrannie bien présente.
Son retour au foyer fin saoul et raccompagné
par sa fille aînée Maggie (Brenda De Banzie) jusqu’à sa chambre montre
l’inconséquence du personnage. Son statut de patriarche et plus
particulièrement d’homme excuse ses errements, que ses trois filles soumises
n’osent réellement lui reprocher dans la séquence matinale qui suit. Comme se
plait à le souligner Hobson dans ses tirades misogynes, la femme est un boulet
domestique nécessaire dont il faut s’accommoder en tant qu’épouse, et dont il
faut se délester en tant que fille. L’emprise de cet ogresque géniteur ne peut
donc être levée que par le mariage pour les filles d’Hobson, mais elles restent
dépendante de son bon vouloir dans le choix du prétendant et surtout de sa pingrerie
dans son refus de donner une dot. Les cadettes Alice (Daphne Anderson) et Vicky
(Prunella Scales) sont ainsi autorisées à se marier mais cette toute puissance
paternelle maintient ce sentiment de dépendance.
Les exclus de ce « système » vont en surmonter les
travers par leurs capacités et intelligence. Maggie la vieille fille
travailleuse n’est pas incluse par Hobson dans le « deal » de
mariage, mais saura aisément se passer de son autorisation pour trouver un
époux. Moins frivole et coquette que ses sœurs, Maggie est pourtant bien celle
qui contribue à la pérennité de la boutique de chaussure – remarquable moment
où elle oblige un fiancé en visite discrète à repartir en ayant acheté une
nouvelle paire de chaussure. L’autre artisan (dans tous les sens du terme) de
cette réussite commerciale est Willie Mossop (John Mills), l’ouvrier qui
fabrique les remarquables modèles de chaussure. Tous comme leur sexe relègue
les femmes dans une position de soumission logique, la basse extraction de
Willie le condamne également à une vie de servitude malgré ses talents. L’alliance des deux supposés inférieurs va donc les faire
transcender les injustices du monde qui
les entoure. Maggie connaissant ses aptitudes doit à son tour faire prendre
conscience à Mossop de son talent, le sens des affaires de l’une et l’artisanat
brillant de l’autre étant prometteur. C’est une association plutôt qu’un couple
que constituent ainsi Maggie et Willie, créant un amusant décalage dans toutes
les étapes de leur union.
Maggie déroule avec malice les termes du « contrat »
à son homme médusé et contraint de l’accepter. L’amour de Maggie s’exprime par
ce volontarisme et la confiance qu’elle place en Willie pour la libérer. Les
sentiments de ce dernier se révèleront également par l’éveil provoqué sur sa
propre valeur, que David Lean saisit dans un magnifique gros plan où il écoute
émerveillé Maggie faire ses louanges en l’arrachant à une liaison médiocre. La
nécessité et les sentiments se confondent alors pour l’accomplissement des
personnages. Brenda de Banzie gagne progressivement dans son allure et ses
attitudes une féminité épanouie qui ne représente plus un poids tandis que John
Mills abandonne ses airs ahuris pour s’affirmer en tant qu’homme. L’ascension
des personnages passe donc autant par le stratagème que par une union qui gagne
en sincérité, ou, mieux qui ose enfin l’exprimer. La gêne respectueuse demeure
jusqu’à une nuit de noce laborieusement amenée, mais dont l’intimité nouvelle
déploie une proximité spirituelle et physique à travers les regards tendres qui
ne se dissimulent plus, des gestes attentionnés délestés d’appréhensions. David Lean use aussi brillamment de la gestion de l’espace
pour scruter l’affirmation et la personnalité de son couple.
Maggie dans le
cadre du magasin est à la fois celle qu’on ignore, située à la droite de l’entrée,
mais aussi le cerveau des lieux qui se révèle par des panoramiques l’introduisant
dans l’image. La métaphore est encore plus simple pour Willie qui s’échappent
peu à peu du sous-sol du magasin et de son statut subalterne. C’est notion de
dominant/dominé passe totalement par cette imagerie de hauteur notamment pour
Hobson lorsqu’il surplombe une de ses filles l’aidant à se chausser au début du
film. Ce seront au tour des autres de descendre, de s’abaisser quand Maggie et
Willie entameront leur élévation. Les sœurs de Maggie sont forcées de descendre
avec leurs fiancés dans sa nouvelle boutique (leur propre mariage passant par
le respect pour Willie) et symboliquement Hobson après une énième beuverie
chute lourdement dans une réserve – les conséquences de cet évènement
concrétisant la perte de sa toute-puissance. David Lean fait preuve d’un
romanesque sautillant où la comédie - genre peu mais brillamment fréquenté par
le réalisateur dans L’Esprit s’amuse
(1945) et Heureux mortels (1944) –
expriment avec autant de force nombre de motifs majeur de son œuvre.
Sorti en BR et dvd zone 2 français chez Tamasa
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