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mercredi 20 mars 2019

Edogawa Ranpo : Les méandres du roman policier au Japon - Collectif


Edogawa Ranpo est une figure majeure et pionnière du roman policier japonais dont la portée demeure encore vivace près de cinquante ans après sa disparition. Cette pérennité est dû à la singularité de son œuvre, de son style et des façons diverses dont elle a pu traverser le temps. Pour les lecteurs français et anglo-saxons (la France et les Etats-Unis étant les pays étrangers les plus réceptifs et où l’on trouve le plus d’œuvres traduites) c’est le versant ero guro - mouvement artistique japonais combinant des éléments érotiques et macabres dans des postulats et situations inspirés d’auteurs occidentaux comme Georges Bataille ou le Marquis de Sade - de son œuvre qui lui valut la reconnaissance avec des romans et nouvelles comme La Chenille, La Proie et l’ombre, Le Lézard noir ou La Bête aveugle publiés durant les années 20. Pour les lecteurs japonais, la familiarisation se fit souvent avec les ouvrages policiers pour la jeunesse mettant en scène le détective Akechi Kogoro (sorte d’équivalent japonais au Club des Cinq). Enfin pour les simples férus de culture japonaise décalée, la connaissance se fit pour les cinéphiles par certaines adaptations mémorables de ses ouvrages (La Bête aveugle de Yasuzo Masumura (1969), Le Lézard noir de Kinji Fukasaku (1968), La Maison des perversités de Noboru Tanaka (1976), Horror of Malformed men de Teruo Ishii (1969)…) ou les lecteurs de manga par les transpositions qu’en fit Suheiro Maruo avec La Chenille ou L’île Panorama.
Tous ces éléments permettent donc une persistance transmédia (en plus des autres transpositions évoquées s’ajoute une série animée en 2015), transfrontière (avec le Inju de Barbet Schroeder adaptation filmée occidentale de La Proie et l’ombre en 2008) et temporelle avec l’entrée récente dans le domaine public de l’œuvre de Ranpo au Japon. Cela a conduit à des rééditions et de nouvelles études qui lui redonnèrent une place de choix. C’est tout l’intérêt et la raison d’être de cet ouvrage collectif qui réunit des textes écrits à l’occasion du colloque « Edogawa Ranpo ou les labyrinthes de la modernité » qui eut lieu en octobre 2016. Chacun des textes s’applique donc à explorer les éléments biographiques, stylistiques et thématiques de Ranpo. L’aspect le plus méconnu (traité dans les textes de Cécile Sakai, Gérald Peloux et Sari Kawana) sera certainement la dimension d’exégète et d’historien du roman policier de Ranpo, tant dans sa connaissance approfondie du « roman de détective » occidental et de ses chantres (Maurice Leblanc, Arthur Conan Doyle, Agatha Christie...) que dans la promotion et la définition japonaise du genre qu’il cherche à développer tout au long de sa vie dans divers ouvrages d’études – à la fois biographique et universels. A ce titre le pseudonyme Edogawa Ranpo (transposition phonétique d’Edgar Allan Poe) est une profession de foi.

Pourtant le style littéraire de Ranpo se détache vite de cette tradition classique du genre policier par les éléments eroguro, les situations dérangeantes et les intrigues tordues développées et qu’analyse très bien Miyako Slocombe - traductrice de plusieurs œuvre de Ranpo. Celle-ci effectue d’ailleurs une passionnante rétrospective de l’accueil d’Edogawa Ranpo en France des premières traductions des années 50 aux multiples éditions des 90’s même s’il faudra attendre 2015 et Le Démon de l’île solitaire pour avoir une nouvelle œuvre inédite et que tout un pan reste à traduire en français. Vu que personnellement le pont vers Ranpo se fit par les films et les mangas, les textes de Mathieu Capel et Miyako Slocombe encore sur le sujet sont captivant. 

Mathieu Capel scrute comment les mise scène des deux versions du Lézard noir (1961 et 1968) façonne un monde-spectacle théâtral se fondant dans l’époque, les caractéristiques de ses participants (le travesti extravagant Miwa dans la version Fukasaku) tout en capturant la matière de Ranpo – les différences et les éléments expurgés par Masumura dans La Bête aveugle, plus romantique au final que le livre, auraient aussi été très intéressants à analyser. Suheiro Maruo est un maître moderne du eroguro dont les éléments relatifs à Ranpo se retrouvent avant même qu’il ne l’adapte directement dans ses manga comme le souligne Miyako Slocombe qui parcoure toute sa provocante bibliographie. 

Malgré quelques digressions curieuses le texte de l’auteure japonaise Kirino Natsuo évoque le contexte littéraire japonais actuel soumis à la loi du marché et aux indignations aussi massive que souvent vaines issues des réseaux sociaux, un environnement qui pour elle rendrait difficile l’émergence d’un auteur aussi original et provocant que Ranpo aujourd’hui. Enfin cinq textes réflexifs et poétique inédits de Ranpo viennent conclure cet ouvrage somme brillant. Accessible dans son entier ou par partie selon la connaissance et les voies qui ont familiarisé le lecteur à Ranpo, c’est un livre qui donne en tout cas envie d’en connaître plus. A bon entendeur aux éditeurs pour d’autres traductions donc (ou pour les plus téméraires se mettre au japonais !).

Publié chez Le Lézard noir

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