Un jeune journaliste allemand en reportage aux Etats-Unis est bloqué dans un aéroport en grève. Une femme dans la même situation lui confie sa fillette, Alice. elle doit les rejoindre à Amsterdam. Au lieu de rendez-vous, aucune trace de la jeune femme...
Bien qu’il s’agisse de sa quatrième réalisation, Alice dans les villes peut être considéré comme le véritable acte de naissance cinématographique de Wim Wenders. Le cinéaste avait débuté sous l’égide du Nouveau Cinéma Allemand, courant cinématographique inspiré de la Nouvelle Vague française et né dans l'Allemagne de l'Ouest des années 1960 et 1970. De futurs grands talents du cinéma allemand comme Volker Schlöndorff, Werner Herzog ou Rainer Werner Fassbinder en émergèrent. Ce courant se caractérisait par une démarche profondément intellectuelle et politisée, loin des facilités du cinéma commercial, et c’est dans ce schéma que s’inscrit Wenders avec des œuvres comme L'Angoisse du gardien de but au moment du penalty (1972), adapté de Peter Handke (avec lequel Wenders se liera d’amitié, écrivant pour lui les scénarios de Faux-mouvement (1975) et Les Ailes du désir (1987)) ou La Lettre écarlate (1973) d’après Nathaniel Hawthorne. Le fonctionnement du Nouveau Cinéma Allemand consistait à une association commune dans la production, réalisation et distribution des films afin de s’affirmer comme des auteurs complets. Ce cadre contraignant finit par lasser Wenders qui rompt avec le mouvement pour réaliser Alice dans les villes.
Le film est la première expression manifeste d’un des thèmes majeurs du cinéaste, le road-movie et l’errance. La tonalité d’Alice dans les villes aurait peut-être pu être plus conventionnelle si Wim Wenders n’avait pas eu la désagréable surprise de voir sortir en salle La Barbe à papa de Peter Bogdanovich (1974) au postulat très proche – un homme encombré d'une petite fille forcé de mener un périple à travers le pays. Wenders doit donc revoir sa copie, qui prend donc tous les atours des grandes réussites à venir, que ce soit sa trilogie allemande de l’errance qu’inaugure Alice dans les villes et où Rüdiger Vogler tient à chaque fois le premier rôle, ou encore la fascination pour les grands espaces américains au cœur de Paris, Texas (1984). Cet attrait pour l’imagerie américaine constitue d’ailleurs le rendez-vous manqué des premières scènes du film pour le héros Philip (Rüdiger Vogler). C’est un écrivain en panne d’inspiration qui vient de parcourir le pays en voiture en vu d’écrire un livre ou un article. Nous l’observons scruter ces lieux et cette culture de loin, de façon superficielle en se contentant de mitrailler de son polaroïd chaque espace traversé mais sans interaction ni communion avec ce cadre ou ces habitants. Il semble chercher une forme de grande révélation qui n’arrivera pas, au grand dépit de son éditeur qui le force à rentrer en Allemagne à ses frais. Un concours de circonstances et une rencontre inattendue le place en responsabilité d’Alice (Yella Rottländer épatante), dont la mère (Lisa Kreuzer) rencontrée à l’aéroport à disparu. Dès lors commence une étrange cohabitation entre l’adulte et l’enfant.Point d’élément comiques et picaresques façon La Barbe à papa justement, mais plutôt une attente puis une errance hasardeuse où les maigres souvenirs d’Alice amènent Philip à chercher son autre famille en Allemagne. Le leitmotiv musical entêtant du groupe Can accompagne la répétitivité des déambulations en voiture, des pauses dans les bars et restaurants routiers, des nuits dans des chambres d’hôtel modeste. Les indices trop ténus désamorcent tout suspense quant à la recherche concrète des personnages, et ce sentiment flottant autorise une autre quête, plus existentielle et insaisissable. Soudain Philip est contraint de regarder réellement les lieux qu’il traverse, tandis que sa compagne de route juvénile et capricieuse l’oblige à vivre (avec toutes les déconvenues qui vont avec) plutôt que de fantasmer l’idée du voyage. De l’urbanité moderne (le métro aérien) des grandes villes à celle en déliquescence économique de la région de la Ruhr, de la collectivité du car à l’intimité d’une voiture de location, on observe la méfiance, la complicité et l’affection naître entre l’adulte se délestant progressivement de son individualisme et la fillette gagnant en apaisement. La somptueuse photo de Robby Müller donne un contraste à la fois lumineux et charbonneux à cette errance que Wenders filme dans une véritable grâce suspendue, et qu’il interrompt avec le même sens de la coïncidence improbable qui la fait débuter. Mais même si la séparation est imminente, Alice et Philip sont désormais liés. Un peu de l’assurance adulte de Philip a déteint sur Alice (c’est elle qui paie l’ultime billet de train à Philip) et beaucoup de l’insouciance de celle-ci a gagné Philip qui oublie de se poser les grandes questions pour savourer l’instant, ce qui nourrira à coup sûr ses futurs écrits. Le résultat ? Un magnifique et ultime instant de communion où notre duo scrute le paysage défiler par la vitre ouverte de leur compartiment de train, et laisse leurs pensées vagabonder au rythme de la caméra de Wenders qui s’envole toujours plus haut. Un petit bijou tout simplement.Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Film
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