Un enfant est victime
d'une profonde discorde conjugale entre ses parents. La mère, revenue au foyer
pour soigner son enfant malade, est un moment pardonnée. Mais, au cours d'un
séjour familial dans une station balnéaire, elle revoit son amant qui n'avait
jamais cessé de la solliciter.
La sensibilité et les préoccupations sociales de Vittorio De
Sica ne se révélèrent au monde qu’avec l’avènement du néo réalisme et des chefs
d’œuvre d’après-guerre que furent Sciuscià
(1946) ou Le Voleur de bicyclette
(1948). Tout cela s’exprime pourtant déjà dans Les enfants nous regardent et de
façons plus risquée encore puisque s’inscrivant en plein fascisme et ère dite
des « téléphones blanc » célébrant la famille et une imagerie
glorieuse de l’Italie. Très populaire en tant qu’acteur tout au long des années
30, De Sica s’intéresse à la mise en scène dès la fin de la décennie et signera
alors trois films restant dans la veine des téléphones blanc avec les comédies Rose écarlates (1940), Madeleine,
zéro de conduite (1940), Mademoiselle
Vendredi (1941) et le film en
costume Un garibaldien au couvent
(1942). Les enfants nous regardent
constitue la première collaboration avec son emblématique scénariste Cesare
Zavattini et annoncent en tout point les grandes œuvres à venir, sans jamais avoir
à rougir face à elles.
Vittorio De Sica se place à hauteur d’enfant pour inverser
tous les symboles et l’idéologie du fascisme. Le garçonnet Pricò va ainsi
assister au lent délitement de la cellule familiale. Sa mère Nina (Isa Pola) va
ainsi quitter le foyer familial pour fuir avec son amant (Adriano Rimoldi),
laissant son père Andrea (Emilio Cigoli) désespéré. Même si celle-ci finira par
revenir par amour pour son fils, le mal est fait et la famille ne s’en remettra
jamais vraiment. Le regard de l’enfant servira constamment de révélateur pour
montrer l’envers de cartes postales, de tableaux de bonheur idéalisé de la
doctrine fasciste. Alors que sa mère l’emmène jouer dans un jardin public, Pricò
va ainsi surprendre l’entrevue secrète entre sa mère et son amant. Plus tard ce
dernier rejeté s’introduira dans le foyer familial en l’absence du mari pour
regagner les faveurs de Nina et la poursuivra de ses assiduités jusque sur leur
lieu de vacances.
Le regard impuissant de l’enfant sert de révélateur à l’hypocrisie
morale ambiante (y compris de façon plus légère avec la jeune fille retrouvant
son fiancé durant l’épisode chez la grand-mère, la tante maîtresse d’un riche
homme d’affaire ou les couturières chuchotant les aventures sexuelles) où il
voit son quotidien se briser et les failles de ses parents se révéler. C’est
bien cette mère aimante mais de plus en plus indigne car cédant à ses désirs au
détriment de son fils qu’elle délaisse pour les bras de son amant.
La facette
morale et religieuse qu’on aurait pu suspecter est contrebalancée par la
faiblesse de caractère du père. Le modèle familial classique figé qu’impose l’imagerie
fasciste le laisse démuni lorsqu’il se trouve seul face à son fils. Il ne cesse
de le balader de parent en parent, attendant le retour de son épouse adultère
sans jamais envisager qu’il pourrait être capable de l’élever seul. Quant Nina
s’en ira pour de bon, il préférera une solution lâche et radicale après avoir
confié Pricò à l’institution religieuse.
Le visage poupin et angélique du jeune Luciano de Ambrosis
(De Sica aura toujours su magnifiquement diriger les enfants acteurs), son
regard perdu et désespéré bouleverse de plus en plus quand se dessine cette
terrible impasse. De Sica traduit magnifiquement ce sentiment d’impuissance
dans la longue séquence où Pricò surprend sa mère et l’amant sur la plage et s’enfuit
pour rejoindre son père (que l’on sait incapable de le consoler) et se perd
dans la nuit noire, seul face à sa solitude.
Lorsque les policiers le
ramèneront à sa mère, celle-ci aura une attitude résignée comme pour figurer le
poids que constitue cet enfant pour son épanouissement. Les efforts de
réconciliations et de retour à la normal qui auront précédés paraissent
terriblement vains et forcés (les époux ne paraissant plus partager qu’une vague
affection) et jette un voile mélancolique sur les quelques scènes réunissant la
famille comme lorsqu’ils se prennent en photo sur la plage.
Hormis l’attachant
personnage de la servante Agnese (Giovanna Cigoli), le monde extérieur ne
semble d’aucun secours. Il ne constituera que des regards curieux et
accusateur en quête de sujet de médisance, que ce soit cette voisine venant
demander du sel pour vérifier l’absence de la mère et répandre la nouvelle ou
encore les pensionnaires de la villégiature de vacance. Le pensionnat religieux
qui recueille l’enfant figurera autant un refuge qu’une prison dans la façon
dont l’illustre De Sica.
La bienveillance des prêtres semble trop impersonnelle
à l’image de l’uniforme qui ne distingue plus l’enfant parmi les autres et l’architecture
des lieux apparait comme oppressante (la scène ou le père abandonne Pricò à l’institut).
L’attention chaleureuse d’un parent et le cadre bienveillant d’un foyer ne
semblent plus qu’un lointain souvenir pour l’enfant comme le montrera une
déchirante scène finale. Une œuvre bouleversante et dérangeante pour le régime en place, le film tourné en 1942 ne sortant qu'en 1944 alors que Mussolini est tombé.
Sorti en dvd zone 2 français chez Tamasa
Extrait
Très bonne analyse ! On nous parle d' égoïsme, de fachisme, de faiblesse ..vécu sous le regard d'un gamin de 7 ans qui en paie le prix. J' ai eu 7 ans moi aussi et une mère avant-gardiste pour l' époque sui s' est très peu souciée de ma souuffrance à venir ! 50 ans plus tard rien a changé ou plutôt progressé dans l' inconstance des adultes qui veulent leur petits bonheurs égoïstes avant tout. L' enfant est devenu un jouet, un cadeau qu' on se fait parce qu' on y a droit ! Prêts à lui sacrifier ses racines originelles. L' élever sans père ou sans mère, l' amour qu' on lui portera forcément le comblera ! Nous vivons actuellement une autre idéologie fachiste sous le fumeux prétexte d' égalité.
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