Johnny Barett,
journaliste ambitieux qui souhaite gagner le Prix Pulitzer, projette de
s'immerger dans un asile psychiatrique pour démasquer l'auteur d'un meurtre qui
s'y est déroulé. Préparé par un psychiatre, ancien spécialiste de la guerre
psychologique, et avec la complicité réticente de sa compagne Cathy,
stripteaseuse, qui se fait passer pour sa sœur victime de ses tendances
incestueuses, il se fait arrêter puis interner tout en continuant à simuler des
troubles mentaux.
Samuel Fuller scrute les maux de l’Amérique par le prisme de
la folie avec ce tétanisant Shock
Corridor. En ce début des 60’s, l’imagerie americana idéalisée de la
décennie précédente s’apprête à vaciller dans le cauchemar. De l’intérieur
comme de l’extérieur le pays porte en germe différents conflits majeurs : la
crise de la baie des cochons a rendu la menace nucléaire et la Troisième Guerre
Mondiale terriblement concrète, la chasse aux sorcières du Maccarthysme a
laissé des cicatrices non résorbées, la guerre du Vietnam débutera pour le pire
l’année suivante, les émeutes de Watts en 1965 vont faire exploser le conflit
racial latent et en cette même année 1963 et deux mois après a sortie de Shock Corridor l’horreur de l’assassinat
de JFK s’apprête à traumatiser une société entière. Tout cela est contenu dans ce
Shock Corridor modeste par son budget mais immense par son ambition. La première ébauche fut initialement écrite par Fuller en 1946 sous le titre The Lunatic, mais ce n'est qu'avec le succès de la pièce Vol au-dessus d'un nid de coucou qu'il parvint à monter le projet.
Johnny Barrett (Peter Breck) est un journaliste dévoré par
les rêves de grandeur et l’obtention du prix Pulitzer. Il est prêt à toutes les
audaces pour cela et se prépare depuis un an à ce qui sera l’article de la
consécration. Préparé par un psychiatre, il compte se faire passer pour fou
afin d’infiltrer un asile afin d’y résoudre un meurtre s’y étant déroulé. Son
entourage va se plier à cette volonté, pour certain à contrecœur comme sa
petite amie Cathy (Constance Towers qui retrouvera Fuller dans le tout aussi
brillant The Naked Kiss (1964)) qui
doit provoquer son internement en se faisant passer pour sa sœur victime de ses
avances incestueuse.
Fuller se débarrasse assez vite de l’aspect administratif et
judiciaire de la chose (car si l’on devait être interné sur des critères aussi
hâtifs beaucoup auraient leur place en hôpital psychiatrique) pour rapidement
plonger notre héros dans cet asile où il va devoir mener habilement l’enquête.
Le décor principal du film est « la rue », immense couloir où défile
les malades, véritable théâtre de la démence qui va peu à peu contaminer un
Barett tentant tant bien que mal de garder les idées claire. Par sa narration
alerte et sa mise en scène oppressante, Fuller fait vite basculer l’atmosphère
dans le pur cauchemar. Les zombies de La
Nuit des morts-vivants (1968) s’annoncent ainsi dans cette scène digne d’un
film d’horreur où Barrett enfermé par inadvertance avec des nymphomanes est
littéralement pris d’assaut et dévoré par les femmes en rut se battant pour sa
chair.
C’est surtout à travers les trois témoins du meurtre sondés
par Barrett que Fuller va montrer la transition des 50’s (faussement) de rêve
vers les ténébreuses 60’s puisque chacun d’eux représente la tare d’un rêve
américain illusoire. Chacun d’entre se sera réfugié dans une chimère, subit le
rejet et sombré dans la démence. Stuart (James Best) aura ainsi cédé à l’idéal
communiste durant la Guerre de Corée avant qu’un mentor lui fasse voir un
visage plus positif de l’Amérique. Pourtant à son retour au pays il n’aura
droit qu’à l’opprobre anti rouge, sa folie se manifestant alors par une schizophrénie
où il se prend pour des généraux de la Guerre de Sécession.
Trent (Hari Rhodes)
aura tutoyé l’idéal de l’égalité des chances en étant le seul étudiant noir au
sein d’une université du Sud mais la pression et l’hostilité de ses camarades
aura eu raison de sa santé mentale. Désormais il oublie sa couleur pour se prendre
pour le plus virulent des ségrégationnistes, volant les taies d’oreillers pour
en faire des cagoules du Ku Klux Klan. Enfin, le brillant scientifique Boden
(Gene Evans) a désormais l’intellect d’un enfant de six ans, dépassé par l’ampleur
de ses travaux sur la bombe atomique.
Le scénario dévoile ses éléments par
fragments dans les courts laps de lucidité des témoins, rompus avant l’information
clé (l’identité du meurtrier) par des crises terrifiantes où ces hommes
apparaissent autant victimes (et évitant un côté schématique froid, la révélation du trauma de Trent et Suart s'avérant même vraiment poignante) que monstrueux dans l‘expression de leur failles. Fuller
n’interrompt pas le court de leurs brèves révélations pour de simples vertus de
suspense. Ces hommes ont perdus pied quand ils pensaient toucher au but et avoir
trouver leur idéal. C’est une manière de nous préparer au terrible sort de
Barrett, de plus en plus instable alors qu’il approche de la résolution et déjà
fou à son tour alors qu’il connaît enfin le coupable.
Lui aussi aura poursuivi
une autre chimère de l’Amérique à savoir la reconnaissance et la célébrité, l’aura
souhaité tellement fort et pris des risques si insensés qu’il n’aura plus les
ressources mentales pour en jouir une fois atteinte (les signes avant-coureurs de la folie s'exprimant par la nature même de son obsession). Tout comme ses camarades,
sa folie définitive s’exprimera dans une hallucination faisant surgir
brutalement la couleur dans des inserts brisant les ombres inquiétantes de la
photo de Stanley Cortez. Dès lors il ne sera qu’un pantin de plus dans la
terrible séquence finale où la caméra arpente le fameux couloir, scrutant comme
les malades comme les freaks d’un cirque de cauchemar, celui de l’Amérique
déchue.
Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side
Bel article sur un film qui s'avère aussi une comédie noire, baroque et pirandellienne sur l’hubris ; il faut lire le roman de Fuller, paru en "Série noire" ; et voici un excellent petit portrait du cinéaste - enjoy !
RépondreSupprimerhttp://vimeo.com/12698811
Excellent ce petit portrait merci pour la vidéo ;-)
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