Deux artistes
américains de voyage en France, un peintre (Gary Cooper), un dramaturge
(Fredric March), sympathisent dans un train par une dispute esthétique avec une
compatriote, la sémillante Gilda Farrell (Miriam Hopkins). Celle-ci tombe
amoureuse des deux hommes qui chacun le lui rendent bien. Pour parer à la
situation, ils emménagent ensemble en scellant un gentlemen’s agreement : « no
sex ». Seul hic, Gilda n’est pas un gentleman...
Design For Living
représente le sommet et un des derniers feux de la Lubitsch touch’s première
manière, l’audace du réalisateur s’exprimant de manière plus frontale ici alors
que s’annonce en cette même année l’application du Code Hays qui l’obligera à
plus de subtilité dans l’irrévérence. Adaptant une pièce de Noel Coward
(largement remaniée par le scénariste Ben Hecht), Sérénade à trois – titre
français assez divin – est une ode à la vie bohème et une célébration de
l’amour libre. Comme souvent avec Lubitsch, cette liberté d’esprit se confond
avec un environnement européen, l’intrigue se déroulant entre Londres et Paris.
La scène d’ouverture résume brillamment le dilemme qui courra tout au long du
film. Gilda Farrell (Miriam Hopkins) s’installe dans le même compartiment de
train que deux gentlemen somnolents, Tom Chambers (Fredric March) et George
Curtis (Gary Cooper).
Caricaturiste de métier et charmée par les traits des
deux messieurs elle hésite sur celui à croquer dans son carnet pour finalement
dessiner les deux puis s’assoupir à son tour, ses jambes fines s’entremêlant à
celle de ses compagnons de route. L’attirance, l’hésitation et la promiscuité
sont ainsi capturés en une scène magistrale sans qu’un seul mot n’ai été
prononcé. Les trois finiront par nouer une solide amitié, liés par ce même élan
bohème puisque George est peintre et Tommy est dramaturge même s’ils ont encore
du mal à joindre les deux bouts. Evidemment un flirt s’instaure entre eux à
l’insu des deux hommes, un troisième larron venant même s’immiscer avec
Plunkett (Edward Everett Horton) riche publicitaire et
« bienfaiteur » de Gilda. Il représente le monde réel, ses
conventions et sa soumission au bien matériel comme le démontrera sa réplique
culte:
Immorality may be fun,
but it isn't fun enough to take the place of one hundred percent virtue and
three square meals a day.
Il ne désespère pas ainsi de conquérir Gilda grâce à sa
position sociale mais sera constamment éconduit. Le vrai bonheur et
l’inspiration ne semblent pouvoir s’exprimer que dans ce dénuement bohème si
romantique. Il surmontera ainsi la jalousie née naturellement lorsque les
amours croisées de notre trio seront mises à jour. Gilda fera ainsi office de
muse pour chacun des deux hommes, sachant les titiller là où il faut pour les
inspirer. A l’autosatisfaction et à la préciosité pédante de Tommy, ce sera le
rejet d’un revers de la main à tous ces écrits cédant à la facilité.
A
l’inverse au doute et manque de confiance constant de George, ce sera des
louanges constantes de ses peintures auxquelles il ne semble pas croire
lui-même. Le désir charnel semble presque s’oublier dans cette émulation
artistique et le conflit n’interviendra qu’avec la réussite de Tommy dont la
pièce est jouée à Londres et où il doit se rendre pour un temps. S’étant
jusque-là bien juré de ne pas laisser intervenir le sexe pour préserver leur
amitié, George et Gilda cède au désir dans cette promiscuité inattendue, le
pacte étant brisé par une autre réplique culte lancée lascivement par Miriam
Hopkins.
It's true we had a
gentleman's agreement, but unfortunately, I am no gentleman.
La réussite de l’un déséquilibre ainsi la relation, la
réussite sociale étant synonyme de division. Cela se vérifie d’ailleurs dans
d’autres grands Lubitsch de l’époque comme Haute Pègre (1932) où notre duo d’escroc ne se disloquera que quand Herbert
Marshall cédera au avances de la richissime Kay Francis. Ce déséquilibre
réveillera également le manque dans une relation qui ne peut qu’exister sous
cette forme immorale du ménage à trois. Le raffinement et l’attention de Tommy
manquent ainsi à Gilda dans les bras de George, l’ardeur et la passion de ce
dernier dans ceux de Tommy. Fredric March exprime ainsi une fragilité
inattendue sous les manières de dandy tandis que Gary Cooper mêle rudesse et
sensibilité avec un talent certain.
S’il fait preuve d’une subtilité certaine –
ce smoking au matin qui révèle l’adultère mieux que n’importe quelle scène
longuette et explicite – c’est surtout par sa tonalité frontale que Lubitsch
oppose si bien les amours interdites de ses héros avec celle plus convenue du
monde réel. Le désir s’exprime brutalement et place à égalité l’homme et la
femme dans son élan pulsionnel. Gilda avoue ainsi le plus naturellement du
monde sa passion équivalente et complémentaire pour Tommy et George, Miriam
Hopkins faisant passer avec autant de charme que de gêne un dilemme qu’on
associe assez injustement à la seule libido masculine. On savourera toute la
finesse de Gary Cooper lorsqu’enfin seul avec Gilda il cède à son attirance
irrépressible pour la prendre dans ses bras, la dimension animale et romantique
de ce désir s’exprimant dans un même élan.
L’attrait comme le conflit s’exprime ainsi avec franchise
dans cette vie libertaire quand ce n’est que frustration, retenue et compromis
dans la haute société. Gilda l’apprendra à ses dépend dans la prison dorée
qu’elle se sera constitué en désirant une vie décente en tant qu’épouse de
Plunkett. Lubitsch ne juge pas ce dernier si sévèrement (ce cocu magnifique
étant un des personnages les plus mémorables de Lubitsch, le dernier adieu est
très touchant) mais simplement son amour pour Gilda est incompatible avec sa
profonde soumission aux conventions. Le final audacieux nous amène un délicieux
et amoral statu quo, plus poussé d’ailleurs puisque ce baiser partagé à trois
ramène le trio à une vie commune placée sous la forme de l’art et du sexe, sans
ambiguïté.
Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Film
Sorti en dvd zone 2 français chez Bac Film
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