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mardi 3 octobre 2023

Minsan pa Nating Hagkan Ang Nakaraan - Marilou Diaz-Abaya (1983)


 Minsan Pa Nating Hagkan ang Nakaraan est pour Marilou Diaz-Abaya le film qui suit sa fameuse trilogie féministe (Brutal (1980), Moral (1982), Karnal (1983)) et qui semble au premier abord plus conventionnel que cette dernière. Le postulat, l'esthétique et la narration évoque ainsi le mélodrame sirupeux philippin lorgnant sur le roman-photo ou la télénovela. Helen (Vilma Santos) est une jeune femme follement amoureuse de Rod (Christopher de Leon) qui s'apprête à la quitter pour poursuivre ses études pour deux ans aux Etats-Unis. Prête à tout pour éviter la séparation, elle lui propose même de vivre avec lui là-bas et de travailler pour l'aider à financer ses études, ce qu'il refuse égoïstement. Ellipse quelques années plus tard, Helen s'est remise et est désormais mariée à Cenon (Eddie Garcia), un riche entrepreneur plus âgé qu'elle. Rod ressurgit alors dans sa vie et tous deux entame une liaison adultère.

Sur le papier cela sent effectivement le grand mélodrame tragique sur fond de triangle amoureux, mais Marilou Diaz-Abaya va habilement détourner les attentes et lier thématiquement le film à ses autres travaux. Les flashbacks surannés sur le passé romantique de Helen et Rod (appuyé par la chanson de variété philippine donnant son titre au film, avec des moments clippesques suspendus) appuie cette idée de drame romantique, mais les interactions réelles des personnages viennent contredire cela. On retrouve, avec le harcèlement psychologique plutôt que la violence physique, le thème de la masculinité toxique chère à la réalisatrice. Plutôt qu'un amoureux éperdu, Rod est un homme possessif et égoïste qui décide par ambition quand il doit exclure Helen de sa vie, et s'y impose de force lorsqu'il l'a décidé, quand bien même cela troublerait l'existence de celle qu'il a abandonné. 

Ainsi dans ce côté intrigue de soap-opera, Rod ne trouve rien de mieux pour s'immiscer dans le quotidien d'Helen que de se proposer auprès de son époux (et de se lier d'amitié avec lui) comme architecte de leur future maison. La promiscuité imposée par ce contexte ravive leur liaison passée mais, une nouvelle fois, Marilou Diaz-Abaya désamorce toute idée de drame romantique tout en en endossant faussement l'imagerie. Helen ne parait jamais comme une amoureuse à la flamme ancienne ravivée, mais plutôt comme une femme sous emprise. Il y a néanmoins une ambiguïté sur le désir, la virilité à double tranchant et l'attrait érotique que fait naître Rod en elle, lui qui est plus jeune et vigoureux que son époux d'âge mûr. En effet les quelques moments intimistes avec Cenon, le mari légitime, reste très chaste et timoré quand, tout oppressant qu'il soit, la proximité de Rod laisse immédiatement grimper une tension érotique - même si le film est bien plus timoré sur ce point-là que la trilogie féministe de la réalisatrice.

Le scénario travaille ainsi le conditionnement inhérent à la femme philippine envers les hommes. D'un côté ce conditionnement naît de la pure domination mentale et physique avec le personnage de Rod dont Helen semble incapable de rompre, trahie par son désir et une "prédisposition" à la soumission. De l'autre côté le conditionnement est social par cet époux dont l'amour ne se manifeste que par les démonstrations de richesses, les multiples cadeaux à sa femme. Helen est ainsi coincée entre l'attrait/tyrannie physique qu'incarne Rod, et la protection sociale et économique que symbolise Cenon. Lorsqu'elle va tomber enceinte (et avec l'incertitude sur la paternité), ces deux représentations de la masculinité vont se renvoyer dos à dos et mener à une même impasse. Tout au long du film, la présence du personnage pourtant bienveillant de la tante (Mona Lisa) est là pour nous signifier la pression sociale d'avoir des enfants, au fond la seule raison d'être du mariage. Lorsque Helen accouche, elle n'est plus (si jamais elle l'a été) un enjeu amoureux mais plutôt un objet de possession et d'accomplissement pour les deux hommes de sa vie. Rod ne supporte pas de voir sa possible progéniture dans un autre foyer et devient encore plus intrusif, alors que Cenon doutant bientôt de sa paternité et soupçonnant l'adultère perd pied psychologiquement quand l'édifice familial et social qu'il a construit s'effrite. 

Plus l'on avance dans cette direction plus sombre, plus l'esthétique du film se transforme. La patine de roman-photo s'estompe pour glisser vers un climat oppressant signifié par les teintes bleutées de la photo Manolo Abaya et l'ambiance soudainement nocturne. On est dans un véritable espace mental suffocant illustrant les codes sociaux dont les personnages se sont avérés incapables de s'extirper, jusqu'à un climax assez soufflant de noirceur dans son contrepoint au début candide du film. Ce n'est pas aussi totalement maîtrisé que les films précédents (peut-être s'agissait-il d'une commande), notamment dans les moments de romance niaise où l'on tarde à percevoir le second niveau de lecture. La prestation de Vilma Santos est à la fois un atout et une faille, tant elle semble un peu trop jouer premier degré ce registre soap-opera (le film a d'ailleurs bénéficié d'un remake sous cette forme en 2023 aux Philippines), mais finalement la rupture de ton 'en est que plus forte aussi. Même si dénuée de la force de sidération de Brutal et Karnal, une œuvre très intéressante donc.

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