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samedi 14 octobre 2023

The Killer - David Fincher (2023)


 Solitaire, froid, méthodique et sans scrupules, un tueur attend dans l'ombre, guettant sa prochaine cible, et réalise qu'il commence à perdre la raison.

Nombre de réussites majeures de David Fincher reposent sur le principe du déraillement de personnages tout en maîtrise. L’accomplissement du plan du tueur de Seven (1995) passe par son propre sacrifice, le milliardaire omnipotent de The Game (1997) voit sa réalité se dérober, La révolution des anarchistes de Fight Club (1999) repose sur la dérive mentale de leur leader, ou encore la technologie de sécurité ultime de Panic Room (2002) devient le tombeau de ses utilisateurs. The Killer, adapté des bd signées Matz et Luc Jacamon, use de ce postulat dans une forme d’épure stylisée.

Le personnage méthodique, glacial et tout en maîtrise est cette fois celui d’un tueur à gage (Michael Fassbender) dont effectivement le métier exige un contrôle absolu de tout les paramètres pour atteindre à chaque fois sa cible. La longue scène d’ouverture le voit guetter son prochain contrat dans le vis-à-vis de deux immeubles avec une patience janséniste. Dans cette longue attente, le tueur déploie en voix-off de façon presque clichée toute une suite de mantras nous expliquant les raisons pour laquelle il exerce son métier à la perfection, jusqu’au moment d’appuyer sur la gâchette et où de manière inattendue il va rater sa cible. Sur le papier la suite du film déploie le schéma ressassé dans le thriller du professionnel trahi par ses employeurs et qui va user de ses capacités pour se retourner contre ceux les ayant autrefois financées. The Killer est donc clairement une sorte d’exercice de style qui tire ce postulat de série B vers l’abstraction en creusant cette thématique de la perte de contrôle tout au long du récit.

Le raté d’ouverture avait déjà mis à mal l’image de tueur infaillible en train de se poser, et celle de figure distante et solitaire ensuite quand on lui découvrira des proches pouvant constituer des dommages collatéraux – et des motifs solides de se venger. La progression du film n’aura de cesse de malmener mentalement et physiquement les fameux mantras exprimés au départ, notre héros étant guidé par ses émotions, agissant pour lui-même et pas pour l’argent, tandis que sa maîtrise absolue des paramètres sera constamment contredite. Cela se fait de manière progressive dans la graduation des cibles à abattre, dans la variation des pays et villes traversées, et dans les méthodes de meurtre. 

Fincher use du motif de la répétition pour souligner les dogmes du personnage, mais aussi pour les faire ressentir en situation. La multiplicité des identités endossées, sa manière à la fois séduisante et anonyme d’échanger avec chaque interlocuteur dans des lieux de passages (aéroport, banques, agences de location de voiture) et l’omniprésence des chansons du groupe The Smiths de façon intra et extradiégétique sont là pour faire ressentir de façon sensitive et implicite ce sentiment de contrôle. L’édifice s’effrite peu à peu, les stigmates des missions le rendant moins passe-partout aux yeux des autres tandis que la bande-son bruitiste de Trent Reznor et Atticus Ross prend le pas sur The Smiths afin de traduire la confusion du héros avançant vacillant vers l’issue de son voyage. Les mêmes lieux reviennent mais l'intégration du tueur au sein de ceux-ci évoluent, par exemple sa vigilance dans l'avion au début laisse place à une impensable somnolence dans ce même cadre plus tard.

Il y a comme une réflexion sous-jacente sur le monde capitaliste, la remontée se faisant de plus en plus périlleuse en passant du quidam d’une ville moyenne (malheureux chauffeur de taxi à Saint-Domingue) à la brute épaisse, la tueuse à gage et le commanditaire dans des villes de plus en plus immenses, tentaculaires et menaçantes dans leur ordinaire - élément travaillés par la photo de Erik Messerschmidt. Le héros a beau exécuter ses cibles, chacune d’elle représente un renoncement non consenti à ses principes, une faille physique ou mentale à sa détermination. Fincher sait le filmer dans l’urgence et le chaos d’une incroyable scène de bagarre où les leitmotivs répétés du tueur sont littéralement interrompus par le brutal assaut d’un adversaire. Plus tard lors de la confrontation avec Tilda Swinton, le héros renonce à l’exécution discrète et sèche qui lui tendait les bras pour un échange quasi existentiel où le chasseur et sa proie se rejoignent (ou du moins se rejoignaient) dans leurs motivations purement pécuniaires, mais cette fois l’objectif est personnel – et l’exécution presque triste et mélancolique. 

Fincher s’adonne à un exercice proche de Le Point de non-retour de John Boorman (1967) par l’avancée déterminée d’un personnage dans les rouages d’un monde criminel contre lequel il se retourne, et tirant cette quête vers quelque chose de vain, abstrait et existentiel. Malheureusement Fincher en reste à la surface et n’atteint pas le vertige psychédélique de Boorman, car n’osant pas pousser la déconstruction de son héros jusqu’au bout – quoique cela peut se discuter avec le sort de la dernière cible. En tout cas le « déraillement » cher au cinéaste est ici bien trop sous contrôle, loin des moments de folies les plus ahurissants et inattendus d’un Seven, Fight Club ou même dans les opus plus récents Gone Girl (2014). On reste dans une froideur et démonstration sur la lignée du Fincher d’œuvres plus impersonnelles comme Millenium (2011). 

Disponible sur Netflix à partir du 10 novembre

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