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jeudi 5 octobre 2023

Le Règne animal - Thomas Cailley (2023)


 Dans un monde en proie à une vague de mutations qui transforment peu à peu certains humains en animaux, François fait tout pour sauver sa femme, touchée par ce phénomène mystérieux. Alors que la région se peuple de créatures d'un nouveau genre, il embarque Émile, leur fils de 16 ans, dans une quête qui bouleversera à jamais leur existence.

On attendait depuis déjà trop longtemps que Thomas Cailley signe un nouveau projet après la réussite époustouflante que fut Les Combattants (2014), son premier film. Toutes les promesses de ce galop d’essai sont tenues, et bien plus encore avec Le Règne animal. Bien qu’il s’agisse d’un récit réaliste, Les Combattants dans sa seconde partie isolant les personnages en forêt se dotait déjà d’une atmosphère presque fantastique. Ce cadre naturel, désert et foisonnant s’avérait un prolongement organique et métaphorique de ce récit d’apprentissage et cette romance en germe, apte à révéler les personnages à eux-mêmes, à exposer leur force et leur faiblesse. Thomas Cailley fait de cet élément le cœur de son nouveau film où cette fois il assume pleinement un postulat surnaturel, inscrit dans un cadre contemporain et porté par des problématiques à la fois intimes et sociétales.

Un phénomène de mutation voyant certains humains se transformer en sortes d’hybride animal frappe la population du film. François (Romain Duris) vit cette épreuve avec son fils Emile (Paul Kircher) depuis que son épouse a entamé cette mutation et dû être arrachée au foyer. Alors le père et le fils viennent de déménager dans le sud près du centre où la mère doit être placée, un incident routier laisser échapper plusieurs créatures dans la forêt voisine. Dans un premier temps, Thomas Cailley divise très clairement le monde des humains et des mutants, tout en concevant un arrière-plan réaliste où leur présence est connue et tolérée, plutôt qu’acceptée. Il va tout d’abord le traduire dans une sphère collective dans une scène d’ouverture où un mutant s’échappe d’une ambulance sur l’autoroute. Les sentiments sont contrastés à ce moment, la montée de tension et le surgissement de la créature sont celles d’un quasi-film d’horreur pour le spectateur, alors que François et Emile bien que s’abritant de la bête semble davantage prudents que surpris de son apparition. Cette inscription dans le quotidien et cette séparation s’avèrent plus évident encore dans les séquences suivantes, où père et fils rendent visite à la mère transformée avant son transfert. Les mutants sont bien présents, mais en arrière-plan (la petite fille dans la salle d’attente) dans le dispositif de mise en scène, ou alors dissimulé en endossant le regard et le sentiment de personnages irrésolus et craintifs quant aux interactions qu’ils peuvent avoir avec eux. Emile observe de loin son père tenter d’échanger avec sa mère, et ce n’est que sur l’insistance de ce dernier qu’il va aller avec réticence la saluer. Durant tout ce temps, nous n’aurons vu que le regard de la mutante, ce qui appuie l’ordinaire étrangeté de sa présence.

Peu à peu, les trajectoires d’Emile et de son père vont s’inverser durant les recherches de la mère. François est un homme qui conteste le système et le traitement fait aux mutants, mais par le seul prisme de son expérience personnelle et de la séparation vécue avec sa femme. Au contraire Emile, en adolescent en quête de l’approbation du collectif, rejette le lien aux créatures, notamment durant les premiers pas dans son nouveau lycée où il préfère dire que sa mère est morte plutôt que la vérité. Lorsqu’il va constater qu’il commence à son tour à être frappé de cette mutation, il est horrifié et le dissimule par pure crainte du regard des autres. François ne montre d’intérêt pour les créatures que dans la quête de son épouse d’abord, puis pour protéger son fils, mais lorsqu’il se confrontera à l’une d’entre elle en forêt, il la repoussera comme n’importe quel quidam ordinaire apeuré.

Thomas Cailley déjoue progressivement nos attentes quant à la perspective de cette mutation. Plutôt qu’une malédiction, une maladie, on comprend peu à peu qu’il s’agit d’une sorte de réponse physiologique, d’une adaptation du corps humain aux soubresauts de son environnement naturel menacé. Le réalisateur allie la problématique du récit d’apprentissage adolescent et des transformations physiques allant avec, et des problématiques écologiques plus vastes. En comprenant qu’il devient autre, Emile apprend à se rapprocher de l’autre en aidant Fix (Thomas Mercier), un mutant volatile à maîtriser son nouveau corps. Les entre Emile et Fix développe dans un sens cette fois positif ce mélange de l’étrange et du quotidien. Les essais d’envol malheureux de Fix sont à la fois burlesques et poétiques, tandis que les échanges des deux personnages adoptent un ton trivial qui dédramatise la métamorphose en train de se manifester en eux. Thomas Cailley emprunte ainsi au David Cronenberg de La Mouche (1986) dans certaines descriptions de la mue d’Emile (perte de dents, griffes poussant sous les ongles), mais se déleste du dégoût et de la souffrance de celui-ci pour au contraire mettre son héros de plus en plus en harmonie avec le monde sauvage au fil de son évolution. Les sens accrus d’Emile ne l’éloigne jamais de ces camarades lycéens, et occasionne au contraire une nouvelle fois ce mélange de proximité (Emile disant à son amie Nina (Billie Blain) qu’il aime son odeur) et de poésie (Emile et son ouïe acérée entendant le cri lointain de Nina) qui amorce une romance adolescente dans tout ce qu’elle peut avoir de charnel et de rêveur.

La relation père/fils est absolument magnifique, faite de complicité vacharde, de sursaut d’autorité maladroite et protectrice, mais aussi de compréhension qui fonctionne constamment grâce à l’interprétation aussi juste que touchante de Romain Duris et Paul Kircher. Ce dernier, déjà formidable révélation de Le Lycéen de Christophe Honoré (2022), endosse avec grâce et dans un même élan constant l’emploi d’adolescent ingrat et celui de créature changeante. La peur de l’abandon à son être animal se conjugue à celle de l’émancipation parentale, le postulat fantastique endossant un état naturel des choses. La crainte pour les siens et celle des créatures de François déteint tout d’abord sur Emile dans la peur et le dégoût de ce qu’il devient. Lorsque tout deux surmonteront cela, ils transcenderont le schisme de la société qui les entoure et sépare ce monde animal de l’humain.

L’influence de l’animation japonaise est palpable. On pense forcément à Les Enfants loups de Mamoru Hosoda (2012) dans cette acceptation de la séparation parent/enfant par un âge adulte résultant de l’état sauvage, et la somptueuse dernière scène va clairement dans ce sens. Les foisonnantes séquences en forêt où soudain règne l’harmonie dans le défilé de créatures hybrides, puis l’affrontement avec l’armée venant la briser, convoque les plus beaux instants animistes de Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki (1997) sans qu’à aucun moment l’on ait le sentiment de décalque. 

Le réalisateur utilise puissamment ce cadre de tournage des espaces sauvages des Landes de Gascogne dont l’apparence évolue et se révèle (les teintes automnales, estivales puis purement onirique de la photo de David Cailley) au fil de la connexion des personnages avec cette nature. Les bois s’avèrent tout d’abord touffus, foisonnant et inquiétants comme s’ils dissimulaient l’innommable. Ils deviennent ensuite un terrain de jeu verdoyant, puis le refuge et la maison où l’on renoue avec son autre pan familial, où l’on peut renaître différent. La bande-son de plus en plus ample, lyrique et tribale de Andrea Laszlo De Simone participe à ce sentiment d’exaltation croissant qui nous gagne jusqu’à la poignante conclusion. On ne qualifiera pas Le Règne animal de grand film fantastique « français », mais de grand film tout court qui confirme le talent de Thomas Cailley.

En salle 

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