Le pilote de dirigeable Michael Lander, qui a enduré les horreurs de la guerre du Vietnam, est devenu psychotique. Désireux de se suicider en grande pompe, il s'associe à la terroriste palestinienne Dahlia, qui prévoit d'utiliser Lander pour faire exploser une bombe lors du Super Bowl en faisant s'écraser son avion sur les gradins bondés. Alors que des milliers de vies sont en jeu, l'agent militaire israélien Kabakov fait équipe avec le FBI pour tenter d'empêcher le meurtre-suicide de Lander.
Black Sunday peut être vu comme un des derniers, si ce n’est le dernier réel coup d’éclat d’un John Frankenheimer qui par la suite rentrera tristement dans le rang, tant au niveau des faveurs du public que de l’inspiration artistique. Issu de cette génération de réalisateurs (Sidney Lumet, Arthur Penn) ayant fait leurs armes à la télévision sur des « dramatiques » laissant le temps et la marge de manœuvre pour faire leurs gammes, Frankenheimer est identifié dès ses premières grandes réussites. Les heureuses rencontres (Burt Lancaster avec qui il tournera cinq films), l’inventivité formelle et l’audace de ses sujets le mettent sur les radars de la critique (notamment française). C’est notamment le cas pour sa une sorte de trilogie paranoïaque comprenant Un crime dans la tête (1962), Sept jours en mai (1964) et L’Opération Diabolique (1967). Tout en s’appuyant sur les tensions d’un Guerre Froide vivace, Frankenheimer finissait par capturer un mal plus intérieur, par ses peurs activées (Un crime dans la tête) ou du moins stimulé par les menaces extérieures (Sept jours en mai), jusqu’à l’épure existentielle et désespérée du fabuleux L’Opération Diabolique. Les films de la fin des années 60 et du début des années 70 contiendront encore leur lot d’excellents film, mais les divergences avec les studios (la sortie sabordée par MGM de Les Parachutistes arrivent (1969)) , vedettes (Gregory Peck sur Le Pays de la violence (1970)), les insuccès injustes (la fresque épique Les Cavaliers d’après Joseph Kessel), placent progressivement le réalisateur à la marge d’une industrie ne jurant plus que par la modernité d’Easy Rider.
Lassé des Etats-Unis, Frankenheimer s’imagine un destin à la Joseph Losey et s’installe à Paris, séjour durant lequel il signera le méconnu L'Impossible Objet (1973) exercice justement bien trop appliqué et déférent à ce cinéma européen auquel il aspire. Il va en partie se remettre en selle en réalisant French Connection 2 (1975), très solide suite du classique de William Friedkin. Ce sont certainement les aptitudes, connues mais rondement exploitées dans French Connection 2 (immersion documentaire, action filmée sur le vif) qui convaincront Robert Evans qu’il est l’homme de la situation pour adapter Black Sunday, premier roman d’un encore inconnu nommé Thomas Harris. Le projet est entamé alors que le contexte du conflit israélo-palestinien est dans un de ses moments les plus délicats, notamment la prise d'otages des Jeux olympiques de Munich. On imagine Frankenheimer creuser encore davantage les jeux de paranoïas et de faux-semblants de ses films des années 60, mais l’approche sera différente.Frankenheimer était un vrai artiste politisé, les penchants progressistes de son cinéma se prolongeant dans la réalité puisqu’il eut la charge de réaliser les films promotionnels de la campagne de primaire de Robert Kennedy. Très lié à ce dernier, il l’aida à gagner en assurance face aux caméras et s’apprêtait à venir le chercher le soir où il fut assassiné par balles le 5 juin 1968. Cet évènement tragique ajouté au déconvenues professionnelles évoquées plus haut affectèrent profondément, Frankenheimer, dans sa vie personnelle (avec de longs épisodes d’alcoolisme et de dépression) et son art, notamment sur Black Sunday.
Par de nécessaires précautions (qui n’empêcheront pas les incidents en amont, durant et après le tournage, tout comme les controverses à la sortie), le film fait une forme de choix apolitique dans son approche. La narration avance en mettant en parallèle le projet terroriste de Septembre Noir et l’enquête du Mossad pour le contrecarrer. Plutôt que d’opposer les groupes et les idéologies, Frankenheimer observe les individus. Opération Diabolique avait ouvert chez le réalisateur une réflexion sur le mâle américain, sa place dans une société en mutation qui se prolongerait par l’immersion dans l’Amérique profonde de Les Parachutistes arrivent et Le Pays de la violence. Cela passait par l’interprétation de stars à la splendeur fanée dans ces trois films (Rock Hudson, Burt Lancaster et Gregory Peck), et le constat d’un supposé âge d’or révolu. Lander (Bruce Dern) est une figure bien différente, rattaché aux maux profondément contemporains de l’Amérique. Brisé par son expérience de prisonnier au Vietnam et trahi par des troubles de stress post-traumatique, Land est un être déclassé par son ancien corps d’armée, et déconsidéré par les institutions du pays censées l’accompagner – la cruauté de rendez-vous médical, entre le mépris d’une assistante et l’impréparation du médecin devant le suivre. La manière de retrouver sa dignité et prendre sa revanche consiste donc en le projet fou d’être à l’initiative d’un attentat de Septembre Noir sur le sol américain. Frankenheimer, qui fut par la suite longtemps attaché au projet Rambo, se montre clairement visionnaire sur ce thème avant qu’il ne devienne plus commun au sein du cinéma américain. La double narration est captivante en mettant dos à dos les individus, dans leurs errements comme leurs failles, à des instants décalés. La barbouzerie d’ouverture nous introduit Kabalov (Robert Shaw), agent du Mossad dont les états de services lui ont valu le doux surnom de « solution finale ». Durant l’opération, sa volonté va pourtant faillir au moment d’abattre Dahlia (Marthe Keller), membre de Septembre Noir à sa merci. Les révélations progressives sur le passé de Kabalov et Dahlia en font des personnages miroir, ce que souligne bien la mise en scène de Frankenheimer lors de leurs deux face-à-face. Dahlia est animée d’une rage, d’un ressentiment, d’une soif de sang et d’un fanatisme qui devaient certainement être ceux de Kabalov à ses débuts. Kabalov quant à lui témoigne d’une usure, lassitude, qui seront probablement ceux de Dahlia après 20 ans de campagnes sanglantes, sans avoir fait évoluer les choses. Frankenheimer fait habilement osciller notre empathie de l’un à l’autre, dans de superbes scènes introspectives (les confessions de Kabalov à l’hôpital, celles entre Dahlia et Lander) ou des moments d’action où le réalisateur nous pousse vers une jubilation coupable – la séquence durant laquelle Lander et Dahlia échappent aux garde-côtes. Cet humanisme est cependant mis à mal constamment lorsque chacun des deux camps renoue avec les méthodes les plus abjectes durant leurs pérégrinations. La joie démente manifestée par Lander après le test de sa bombe durant lequel il a sacrifié un innocent, l’indifférence à tirer dans la foule de Fasil (Bekim Fehmiu) durant une course-poursuite urbaine à pied, tout cela finit par sceller notre choix pour ceux privilégiant la vie dans le cadre du récit.Après deux heures d’un pur récit d’espionnage rondement mené et captivant, Frankenheimer va amorcer le grand morceau de bravoure du film. Le montage d’une précision métronomique, le déluge d’action insensé et les visions dantesques (le dirigeable piquant du nez au-dessus d’une tribune de stade) mènent à un suspense haletant soutenu par le score anxiogène à souhait de John Williams. Quelques imperfections techniques ici et là ne sauraient remettre en question le sommet de tension de ce climax, lorgnant sur le film catastrophe et paradoxalement presque trop spectaculaire en comparaison du ton introspectif qui précède. Malgré toutes ses qualités, le film (dont l’originalité sera émoussée par la sortie quelques semaines plus tôt d’Un tueur dans la foule de Larry Peerce (1976) au sujet voisin) ne remportera pas le succès escompté et Frankenheimer ne se retrouvera plus aux rênes d’un projet aussi ambitieux. Les évènements du 11 septembre 2001 limiteront désormais les diffusions du film, l’irréalisme spectaculaire du moment de sa sortie étant désormais auréolé d’une authenticité visionnaire fort dérangeante.Sorti en bluray français chez Sidonis
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