Un chef d'orchestre en
est persuadé : sa femme le trompe ! Alors qu'il dirige un concert, il imagine
trois manières de la tuer, au gré de l'inspiration que lui apportent les
musiques de Rossini, Wagner et Tchaïkovski. La salle est en délire : jamais le
chef d'orchestre n'a semblé aussi habité par sa partition ! Ne reste plus qu'à
mettre le crime en pratique....
La question du fantasme et de son impossible réalisation est
un thème central de la comédie américaine des années 50. C’est le mari en quête
d’aventure de Sept ans de réflexion (1955), Jerry Lewis se rêvant un alter-ego irrésistible dans Docteur Jerry et Mister Love (1963) ou
le quidam ordinaire affublé du sex-symbol Jayne Mansfield dans La Blonde explosive (1957). Preston
Sturges est pour beaucoup dans cette tendance, lui qui aura exploré la question
narrativement dans Les Voyages de Sullivan (les velléités de mélodrame du héros
réalisateur s’opposant aux attente de comédie de son public) mais aussi visuellement
en introduisant les codes du cartoon dans le cinéma live. Au début des années
50, Preston Sturges est au creux de la vague. Il a quitté avec pertes et fracas
la Paramount, le studio lui ayant donné sa chance et où il jouissait d’une
liberté totale. Loin de ce cocon, l’association malheureuse avec Howard Hughes
et des œuvres moins inspirée font mettre à mal le crédit de Preston Sturges.
Darryl Zanuck, patron de la Fox et grand admirateur de Sturges (tout son
travail de scénariste à la Paramount et si cette dernière avait refusé de lui
donner sa chance à la mise en scène il était prêt à le faire) lui donnera alors
carte blanche pour ce qui sera son dernier vrai grand film, Infidèlement Votre.
Cette idée du fantasme irréalisable qui court de manière
sous-jacente dans toute son œuvre (les aspirations héroïque du jeune homme de Héros malgré lui (1944), les rêves de fortunes
du couple de Christmas in July (1940), l’idéal artistique du cinéaste des Voyages
de Sullivan), Sturges l’applique littéralement dans le script très
conceptuel d’Infidèlement Votre. Le
chef d’orchestre Alfred de Carter (Rex Harrison) apprend que son épouse (Linda
Darnell) le trompe. Fou de rage, il rumine en plein concert trois manières de
la tuer, la méthode et l’atmosphère de ses fantasmes variant au gré d’une
partition où alternent Rossini, Wagner et Tchaïkovski. L’idée du film date de
1932 où Preston Sturges encore simple scénariste constata l’influence qu’avait
la musique d’ambiance sur son écriture. Le réalisateur y ajoute foule
d’éléments inventifs dans une première partie caractérisant avec drôlerie le
mari jaloux.
Sturges fait de son héros un anglais marié à une américaine qui
est également une femme plus jeune. Cette différence d’âge et de culture amorce
progressivement des motifs de ressentiments lorsque l’époux se pensera trompé.
Rex Harrison lui apporte une préciosité excessive et hilarante, autant dans
l’expression de son amour que plus tard de sa haine. Il faut voir l’attitude
théâtrale et les grands airs qu’il prend lorsqu’on ose lui amener les rapports
de filature confirmant l’adultère de son épouse. Par des coups du sort
hilarants, ce fameux rapport qu’il refuse de lire lui revient constamment,
jusqu’à ce qu’il finisse par en connaître le tragique contenu.
Pas de
grande scène de ménage ou de colère envers son épouse, sa jalousie va prendre
au contraire un tour tout aussi maniéré. Sturges oppose le raffinement européen
à la vulgarité du Nouveau Monde, les renvoyant dos à dos avec brio. De Carter
est anglais, artiste et cultivé. L’antithèse de son beau-frère August (Rudy
Vallee) américain froidement matérialiste (une scène le montrant compter son
argent en pleine nuit enfonce le clou) et ignare. C’est le second qui lance la
filature par un détective privé de la femme de son beau-frère qu’il soupçonne
d’infidélité, un moyen efficace et pragmatique pour lui tandis que cela est
d’une vulgarité sans bornes pour un De Carter poussant des cris d’orfraie
lorsqu’il apprend la nouvelle.
Dès lors la jalousie ordinaire mais entouré de bassesse de
l’américain s’oppose à celle plus raffinée et pédante de l’anglais (les
remarques désobligeantes de De Carter sur les américains sont légions sous la
plumes acerbe de Sturges) qui ne peut que fantasmer la réparation de l’outrage
dans une mise en scène grandiloquente. La caméra de Sturges traverse la salle
de concert pour s’attarder sur la gestuelle passionnée de De Carter avant de
littéralement plonger dans son regard et ses pensées meurtrières, le rêve peut
commencer.
La comédie noire drôle et sautillante est de rigueur sous les notes
du Sémiramis Rossini, le ton se fait pesant et funèbre dans
le mélodrame forcé baigné du Tannhäuser
et le tournoi des chanteurs à la Wartburg de Wagner et carrément tourmenté
et désespéré avec Francesca da Rimini
de Tchaïkovski. Mari meurtrier face une épouse « femme fatale » dans
le premier fantasme, compréhensif et résigné dans le second et suicidaire dans
le dernier, De Carter offre trois visages où il tient sa revanche de façon
toujours plus outrancière.
Il en ira autrement lors de la concrétisation où les lois de
la gravité reprennent leur droit avec une chambre d’hôtel saccagée, les
enregistreurs disposent d’un mode d’emploi incompréhensible et où l’interlocuteur
n’arbore pas la même attitude théâtrale. De Carter sera constamment
décontenancé par ces éléments réel qui contredise la flamboyance des fantasmes,
le plus grand d’entre eux étant évidemment l’infidélité de son épouse. Toujours
aussi cabot, notre héros s’en sort avec une envolée dont il a le secret et
Sturges de teinter son final romantique d’une grinçante ironie.
Sorti en dvdzone 2 français chez Carlotta
Salut Justin, alors je (re) découvre le grand Preston Sturges car je n'avais pas poussé plus loin. "Unfaithfully Yours" est sans doute mon préféré parce que Rex Harrison est complètement parano et déjanté, bref génial. Et puis j'ai découvert il y a peu "Gouverneur malgré lui" qui est très drôle aussi, j'avais "The Lady Eve", "Les voyages...." et ce fameux "Infidèlement vôtre", du coup je les ai tous revus. Bon maintenant je vais lire ta critique....
RépondreSupprimerSalut Catherine et oui que du bonheur Preston Sturges, d'ailleurs il y en a un méconnu qui va bientôt sortir pour la première fois en vidéo en France cez Elephant, c'est "The Great Moment" un très beau mélo. Sinon peut-être l'as tu déjà vu mais Rex Harrison en goujat immoral, on l'aura aussi dans le très réussi "Un mari presque fidèle" j'en parle ici https://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.com/2016/12/un-mari-presque-fidele-constant-husband.html
SupprimerEt toujours avec Harrison je vois que tu parles aussi du film génial de Minnelli "Qu'est-ce que maman comprend à l'amour ?".
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Supprimer" très beau mélo. Sinon peut-être l'as tu déjà vu mais Rex Harrison en goujat immoral, on l'aura aussi dans le très réussi "Un mari presque fidèle" j'en parle"
Non je ne l'ai pas vu.
Il a aussi un rôle de goujat en amorce dans "My Fair Lady" je trouve, car il y est très patriarcale dans son approche des femmes, sans compter que le but recherché est de faire d'une vendeuse de rue une lady, c'est une expérience, un pari au départ, et goujat parce qu'il n'a aucun respect (enfin au début, c'est un film hollywoodien) pour sa personnalité à elle. Dans "Guépier pour 3 abeilles" il se veut le manipulateur suprême de ses anciennes épouses...
Et c'est en partie un reflet de son comportement dans la vraie vie, il a quelques casseroles notre ami Rex Harrison ^^
SupprimerOui il parait qu'il courrait derrière le moindre bout de jupon ha,ha .... une anecdote que j'ai apprise récemment, cité par Billy Wilder dans un bouquin: Rex Harrison marchait avec un ami sur un trottoir, cet ami parlait, parlait jusqu'à ce qu'il tourne la tête pour regarder Harrison, qui n'était plus là mais en train d'aborder une jeune femme 500m derrière !!
SupprimerIl y a aussi une histoire un peu plus sordide où il aurait poussé une de ses maîtresses au suicide.
SupprimerOui c'est vrai, je ne me rappelais plus de cette histoire..... ça c'est grave.
SupprimerLà c'est moins drôle. Maintenant que tu le dis j'avais vu ça quelque part...
SupprimerPour en finir avec lui, il y a un film mi-dramatique et mi-humoristique "Dernier Train pour Munich", de Carol Reed je crois, qui se passe en 39-45 où il se fait passer pour un gradé allemand qui veut faire franchir une frontière à un professeur et sa fille, enfin je crois que c'est le pitch car je ne sais même plus où se trouve ce dvd anglais chez moi ha,ha
RépondreSupprimerConcernant Sturges, je ressens aussi qu'il est proche de l'humour et de l'approche d'Ernst Lubitsch concernant certaines mises en situation, les rapports entre l'homme et la femme, la pétillance des dialogues. Ce qui et un plus réjouissant. Je suis actuellement dans une longue séquence "revival" du cinéma de Billy Wilder et Lubitsch n'est donc pas loin aussi. C'est pas Go West, c'est Go Ernst !!
RépondreSupprimer(hum hum). Après Wilder, ce sera donc un "revival" Lubitsch, que du bonheur. Finalement c'est je crois la période du cinéma américain que j'aime le plus, qui comprend d'autres réalisateurs comme Fritz Lang et ses polars américains..etc