La Tamise aux premières lueurs de
l'aube. Une vedette de la police découvre un corps inerte, le cadavre
d'une jeune noyée et le conduit à la morgue. A la sortie d'un
night-club, un jeune homme retrouve une entraîneuse. Une femme, lasse de
passer des nuits blanches à cause de son bébé, reproche à son mari ses
sorties nocturnes...
Poignant et austère mélodrame, Four In The Morning constitue un sommet du Free Cinema
multi récompensé à sa sortie mais quelque peu tombé dans l'oubli
depuis, sans à cause de la filmographie restreinte de Anthony Simmons.
Le film s'ouvre la découverte d'un cadavre de femme sur les rives de la
Tamise aux premières heures de l'aube. Tandis que les autorités
s'affairent pour transporter le corps à l'hôpital, le récit narre en
parallèle (ou en flashback le doute étant entretenu jusqu'au bout sur
l'identité de la morte) les destins contrariés de deux couples. D'un
côté celui d'une jeune mère esseulée (Judi Dench) et son époux absent
(Norman Rodway) et de l'autre les déambulations d'un jeune homme (Brian
Phelan) et d'une entraîneuse (Ann Lynn) qu'il a retrouvé à la fin de sa
nuit de travail.
Aucun de ces personnages n'est nommé, réduit à sa
nature et/ou fonction première (époux/épouse, homme/femme), moyen de
signifier le sentiment de solitude et d'enfermement qui sera au cœur du
récit. On est là aux antipodes de l'imagerie Swinging London avec cette
atmosphère de désolation matinale pour les extérieurs (le jeune couple
en ballade) et de claustrophobie pour les intérieurs (le sinistre
appartement des mariés) où l'environnement constitue un vrai miroir du
mal être des personnages.
Les questionnements plus modernes et typiques de l'époque sont pourtant
au cœur de l'histoire. A l'heure de la libération des mœurs les
situations sentimentales classiques se voient totalement bouleversée,
que ce soit l'institution du mariage ou un simple postulat boy meets girl.
Chacun des deux couples est déchirés entre une certaine tradition et
des attitudes plus modernes, chacune s'avérant néfaste selon les
moments. Judi Dench, jeune mère dépassée et dépressive perd donc pied
par désespoir de n'être désormais plus que cela tandis et piégée tandis
que son mari étouffant au sein du foyer adopte une attitude de
bambocheur rigolard indigne de ses responsabilités familiales.
Judi
Dench, véritable masque de désespoir retenu est absolument
bouleversante. C'est encore plus complexe du côté des amoureux en
vadrouille qui se poursuivent et se repoussent constamment, le garçon
masquant ses sentiments qu'on devine sincères sous un insistant désir
charnel, la fille restant aussi dans la retenue par crainte d'être
blessée. Simmons capture magnifiquement cette naissance du sentiment
amoureux lors de leur longue déambulation (dont une magnifique scène en
hors-bord sur la Tamise où le film se déleste de sa tonalité
contemplative pour un montage percutant saisissant les étreintes du
couple de manière saccadée) à travers les regards, les gestes tendres
discrets et les confidences qu'ils se font sur leur passé respectif.
Là également, c'est lorsque ce début de relation prend un virage
"classique" qui devrait pourtant tout résoudre (la fille avouant au
garçon qu'elle l'aime) que tout s'écroule. Tout retour à un mode de
fonctionnement amoureux ordinaire semble voué à l'échec et inadapté à
son époque, que ce soit le mariage (ou là la tradition de la femme
soumise attendant son époux de retour de beuverie est fustigée) ou une
amorce de relation tuée dans l'œuf (et là à l'inverse une critique la
mentalité moderne du garçon n'écoutant pas son cœur et préférant
s'amuser que de se lier à cette fille) alors que dans les deux cas
Simmons aura magnifiquement su faire transparaître l'amour des deux
couples. On n’est pas loin ici en beaucoup plus austère du propos de Darling
de John Schlesinger sorti la même année et où Julie Christie en pur
produit moderne frivole était incapable de se lier à qui que ce soit.
Anthony Simmons a admis être influencé par les cinémas de John
Cassavetes et d'Antonioni, du premier il laissera une grande part à
l'improvisation en particulier pour le couple d'amoureux en promenade et
du second il reprendra l'ambiance mortifère et dépouillée reposant
grandement sur l'image notamment toutes les superbes séquences en
extérieur.
Visuellement le film est assez somptueux, Simmons multipliant
les vues majestueuses d'un Londres fantomatique comme on l'a rarement
vu et porté par la superbe photo de Larry Pizer (l'idée de départ du
film venant d'ailleurs de lui lorsqu'il racontera à Simmons avoir essayé
de voler un hors-bord abandonné au petit matin comme les héros du
film). Entre pur stylisation et tonalité presque documentaire (Anthony
Simmons fut tout d'abord documentariste) on a donc une atmosphère assez
unique et dépressive dont l'aspect cotonneux imprègne progressivement le
spectateur notamment grâce à la superbe musique de John Barry.
Le cadavre n'est finalement qu'une illustration de plus de cette
solitude et de ce dépit typiquement urbain que Simmons achève de
signifier par un final doublement plombant. Le film se conclut ainsi
tout d'abord sur la morte rangée dans son compartiment à la morgue dans
son compartiment avant un dernier plan sur le Waterloo Bridge où
déambule les silhouettes anonymes des travailleurs vaquant à leur
fonctions. Simmons y voit des morts-vivants illustrant le vers de TS
Elliott issu de son poème "Wasteland" I did no know death have undone so many. Déprimant et cafardeux mais un très beau film.
Sorti en dvd zone 2 anglais et sans sous-titres
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