Un monsieur de compagnie vient conclure la fructueuse collaboration entre Philippe de Broca et Jean-Pierre Cassel, le second ayant constitué un véritable double cinématographique du premier à travers son personnage de doux rêveur dans Les Jeux de l'amour (1960), Le Farceur (1960) et L'Amant de cinq jours (1961). Ce troisième film en commun est très librement adapté du roman éponyme d'André Couteaux par de Broca et Henri Lanoë. Alors que Les Jeux de l'amour et Le Farceur restaient des œuvres de factures modestes et artisanales, Un monsieur de compagnie par sa luxuriance visuelle (technicolor, tournage international) semble une fusion entre le de Broca première manière et celui des cartons au box-office que furent Cartouche (1962) et surtout L'Homme de Rio (1964). Le plébiscite public des titres avec Jean-Paul Belmondo marquera d'ailleurs la rupture avec Cassel au succès plus modeste. Un monsieur de compagnie n'est pas tout à fait à la hauteur des meilleurs films des deux périodes mais s'avère d'un charme fou.
Il faut bien tout le charme de l'acteur donner envie de suivre un personnage au final assez antipathique et qui abuse de la joyeuse troupe d'excentrique qui va croiser sa route. Le casting fait merveille avec Jean-Pierre Marielle en vendeur gouailleur et débrouillard qui va se faire voler sa petite amie, Jean-Claude Brialy génial homme-enfant aristocrate amateur de train ou encore Adolfo Celli riche italien pétri d'admiration pour celui en qui il voit un fils spirituel.
Visuellement Philippe de Broca constitue un monde de rêve entre la bd (le Montmartre annonçant presque Amélie Poulain dans son scintillant fétichisme), la maison de poupée (le technicolor façon boite de Quality Street de Raoul Couard) et le dépliant touristique lors de l'épisode italien, le tout parsemée d'idée folles comme la chambre transformée en cabine couchette.
Les jeunes filles sont jolies et légères (Annie Girardot, Sandra Millo, Irina Demick ...), le moindre protagoniste rencontré idéalement bienveillant (le policier italien qui en oublie son amende), cette idée fonctionnant même par l'ellipse (Antoine se réfugiant sous le parapluie d'un passant dont il se trouve seul possesseur dès la séquence suivante). La seule ombre au tableau serait donc sans doute notre héros qui pourra vaguement faire sourire en abandonnant une conquête, fera tiquer en brisant le cœur "ferroviaire" de Brialy et se montrera bien cruel en suggérant avoir possédé toutes les filles de l'homme qui l'hébergeait généreusement. Leur tort est d'avoir voulu le ranger, l'enfermer dans une case, en un mot le faire grandir.
Le seul fil rouge de ces péripéties est la rencontre récurrente d'une énigmatique et charmante jeune fille blonde (Catherine Deneuve au sommet de sa beauté virginale) dont chaque apparition est marquée par un somptueux thème de Georges Delerue. C'est sa poursuite plus ou moins consciente qui mène les pérégrinations d'Antoine et ce n'est qu'en l'ayant enfin rattrapée qu'il ressentira pour la première fois les manques de son existences dans son rapport à elle. Ce n'est par une nantie dont il peut soutirer quelques billets, ni une délurée qui cédera facilement à ses avances.
Il ne peut qu'être lui-même mais s'avère une coquille vide qui n'a rien à lui proposer. Exister à ses yeux c'est s'installer et se ranger aux contraintes de la vie "normale" mais c'est alors renier ce principe d'existence oisive. Un choix complexe pour lequel de Broca botte en touche par une pirouette narrative désinvolte qui boucle la boucle. Pas forcément le meilleur de cette grande période du réalisateur mais un très bon moment.
Sorti en dvd et bluray chez Gaumont
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