Âgée de tout juste 16 ans, Lynda
Mansell joue la provocatrice dans son petit bourg de bord de mer
britannique des années 1950. Au grand déplaisir de son père veuf qui ne
sait plus comment s'en occuper, elle choque volontiers son entourage par
son vocabulaire peu retenu (son juron favori : "Up yer bum")
Wish you were here
est le remarquable premier film de David Leland qui, après une brève
carrière d'acteur s'était fait connaître pour son travail de scénariste.
Il travaillera notamment avec Alan Clarke sur Made in Britain (1982) ou encore Neil Jordan pour Mona Lisa
(1986). Sollicité pour écrire le script d'un biopic de Cynthia Payne
(tenancière de maison close de la banlieue de Londres qui fit scandale
dans les 70's), Leland y inclus un prologue sur son adolescence. Le
projet deviendra Personal Services
réalisé par Terry Jones où est abandonnée l'idée de prologue pour
évoquer directement le personnage à l'âge adulte. David Leland voit
pourtant matière pour une œuvre à part entière sur l'adolescence
féminine dans la province anglaise des années 50.
Leland y gardera
certains éléments biographique associé à Cynthia Payne (le fait que
l'héroïne a perdu sa mère très jeune ou encore la séquence chez le
psychanalyste) et d'autres de sa propre enfance à la même période. Pour
le réalisateur, l'Angleterre des années 50 vit un véritable contrecoup
répressif après la parenthèse enchantée que constitua la Seconde Guerre
Mondiale. L'esprit de solidarité d'alors atténua pour un temps les
clivages de classes ancrés dans la société anglaise et autorisa une
certaine libération des mœurs. Au moment de se reconstruire, les codes
sociaux et moraux d'alors semblent reprendre leur droits mais une certaine
jeunesse va s'y opposer, le courant le plus connu étant celui des angry young men en littérature comme au cinéma.
Wish you were here
propose donc un regard original de cette rébellion avec l'adolescente
haute en couleur qu'est Lynda (Emily Lloyd). La magnifique scène
d'ouverture exprime par l'image la liberté de corps et d'esprit de notre
héroïne, lorsqu'elle longe la côte à vélo, robe retroussée laissant
largement voir ses jambes puis lorsqu'elle aguiche les garçons,
négligemment assise sur la rampe du pont. Elevée par son père incapable
de lui témoigner de l'affection, Lynda voit donc dans la provocation une
manière d'exister et d'échapper à l'ennui de cette vie provinciale.
Emily Lloyd (qui avait l'âge du rôle) est prodigieuse, mêlant la candeur
de l'enfance à la sensualité de la femme, les deux points s'exprimant
par la manière toujours amusée et coquine de jouer de ses charmes quand
elle montre ses dessous. Lynda n'a aucune expérience du sexe mais n'en a
pas peur, curieuse et les sens en ébullition au même titre qu'un garçon
ce qui est inacceptable.
Leland a toujours le regard juste,
l'anormalité de Lynda n'existant que dans le regard moralisateur des
autres quand elle semble constamment naturelle et moderne dans ses
attitudes. Cela s'exprimera remarquablement dans le face à face avec un
psychanalyste la testant durant un abécédaire où elle doit proférer des
insanités et où elle le piège en ne prononçant pas le f(uck) et le
c(ock) qu'il espère pour prouver son amoralité. Le machisme dominant est
remarquablement fustigé également, le gout du sexe semblant être
l'apanage des hommes quand il doit être honteux chez la femme. Le père
n'aura que I'm a man à répondre
lorsque Lynda le renvoie à ses propres aventures quand il lui reproche
les siennes et la scène de "première fois" est hilarante tant le jeune
homme promet monts et merveille pour un coït fulgurant qui laisse Lynda
circonspecte.
L'innocence et la vulnérabilité que dégage Emily
Lloyd rend bien plus touchant et profond cet attrait des sens, les
provocations cachant un besoin d'attention. Leland reste ainsi très
elliptique sur les scènes de sexe pour s'attarder sur les moments où
Lynda fend l'armure rigolarde et dévoile son cœur d'artichaut en fondant
en larmes devant un film romantique (Leland faisant preuve d'un goût
très sûr puisqu'il s'agit de la magnifique production Gainsborough Love Story
(1944) avec Margaret Lockwood). Personne ne sera pourtant capable de nourrir
cette quête d'affection, tous les hommes du film représentant
différentes forme de lâcheté, entre son père essayant plus de maintenir
les apparences que de la comprendre, le premier amoureux cédant à la
première menace et un amant plus âgé (et ami de son père) cherchant
juste à la posséder. C'est un portrait glaçant de cette société
maintenant dans l'ombre toute manifestation de désir même le plus naïf
(le baiser violemment stoppé par le propriétaire du cinéma).
Visuellement c'est superbe, Leland capturant la quête d'ailleurs de
Lynda en la fondant magnifiquement dans les espaces côtiers et la photo
lumineuse de Ian Wilson contredisant le climat oppressant du film, se
faisant le reflet de son héroïne rieuse. Le leitmotiv du travelling
filmant Lynda de dos face à sa fenêtre et guettant un horizon meilleur
offre également des variantes formelles inventives et envoutantes. La
dernière scène offre un pendant brillant à l'ouverture, Lynda effectuant
le même chemin avec une autre matière de défi aux bienpensants. Une
belle réussite qui rencontrera un grand succès et qui vaudra un BAFTA à
David Leland pour son script et une nomination pour Emily Lloyd qui
trouvait là le rôle de sa vie.
Sorti en dvd zone 2 anglais chez Film Four
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