Gwang-jang, l’immense place au cœur de Pyongyang, est désertique en hiver. Seul Isak BORG y pédale à s’en brûler les poumons. Le diplomate a demandé à prolonger son mandat à l’ambassade de Suède, faisant fi des mises en garde de son interprète, Myeong-jun. Isak s’en moque, il est amoureux. Ses rendez-vous avec Bok-joo sont secrets. Bravant l’interdit, les joues sont roses et leurs yeux brillent, mais les ombres, en Corée du Nord, sont denses. Et de toutes parts les entourent...
Les rapports du cinéma d’animation avec la Corée du Sud apparaissent davantage par son travail de sous-traitance, mais dans un passé récent (les premiers films de Sang-Ho Yeon) comme plus lointain (Mari Iyagi (2002), Wonderful Days (2003), Oseam (2003)) le pays parvint à sortir des propositions singulières. The Square en est indéniablement une, le premier long-métrage de Kim Bo-sol ayant d’ailleurs récemment remporté le prix du jury au Festival d’Annecy. L’intrigue a l’audace de nous plonger au sein du quotidien en Corée du Nord, entrecroisant authenticité et fibre romanesque.
Nous y suivons Isak Borg, diplomate suédois installé en Corée du Nord dont le séjour se prolonge depuis qu’il a rencontré l’amour avec Bo-joo, jeune femme agente de la circulation. Le premier niveau du récit se joue donc à travers leur romance secrète, leurs déambulations dans un Pyongyang hivernal, les silences complices et les regards tendres. Les quelques subterfuges pour dissimuler cette relation, et les regards aussi insistants qu’inquisiteurs des quidams dans les lieux publics semblent au premier abord les seuls éléments pesant sur eux. Cela correspond justement à la matière romanesque que le réalisateur a brodé autour d’un élément réel, soit un article de journal dans lequel il a lu le témoignage d’un diplomate suédois narrant la solitude qu’il a ressenti durant son séjour en Corée du Nord. En se documentant pour le film, Kim Bo-sol a été amené à échanger avec un ancien fonctionnaire nord-coréen installé en Corée du Sud. La perspective de celui-ci introduit une autre facette du pays, plus secrète, solitaire et anxiogène. Dans le film ce point de vue est représenté par Myeong-jun, interprète de Borg entretenant une certaine froideur avec lui, et adoptant une distance hostile face à cette romance. Il y a ainsi comme deux régimes esthétiques et tonal dans le récit, celui enchantant le réel par la romance et un autre le rendant sinistre avec le taciturne Myeong-jun. Le réalisateur travaille cela par la colorimétrie plus vive ou terne, les compositions de plan unissant le couple ou appuyant la solitude de Myeong-jun, l’équilibre entre lieux clos et espace extérieurs. Ces deux facettes s’entrecroisent lorsque les seuls Borg et Myeong-jun sont ensemble durant une scène. La présence lumineuse de Borg s’exprime lorsqu’il a une interaction avec une mère et sa petite fille, mais c’est le regard suspicieux de Myeong-jun qui domine l’instant lorsque les locaux sont sommés d’interrompre l’échange avec « l’étranger ». Un même réalisme guide la reconstitution rigoureuse de Pyongyang dans les décors, les arrière-plans, mais un monde semble néanmoins séparer Borg de Myeong-jun. L’intrigue va pourtant les faire se rejoindre par la tragique séparation annoncée de Borg et Bo-joo, et le rôle que va y jouer Myeong-jun. Le réalisateur transcende ainsi les idées reçues en déployant la beauté que peut trouver l’étranger dans cette société hostile, mais aussi l’éveil à son humanité que peut susciter l’autre pour le local. La trame d’espionnage lorgnant sur La Vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck (2006) – influence assumée par le réalisateur - est autant un motif de suspense qu’un élément développant le rapprochement mutuel des personnages. En définitive et aussi touchante soit-elle, la romance ne semble pas être aussi centrale que cela, et c’est le regard qu’y pose le vrai protagoniste principal qui façonne toute la singularité de l’émotion – chaque lieu ou objet socle de la romance devenant fondateur de l’éveil de Myeong-jun, notamment le lecteur cd. Le cadre n’en est pas moins menaçant et paranoïaque, exposant les amants à une cruelle réalité, mais il s’y distingue désormais quelque chose de plus beau et touchant.Programmé au Festival du cinéma coréen à Paris




